Avec son sens du partage, le chef étoilé se livre en toute simplicité
Il tenait déjà un blog, mais il vient de publier son premier beau livre Gastronomie entre lac et montagnes (Éditions Favre). Comme une consécration de son parcours culinaire, une confirmation de son excellence.
Le passage obligé de tous les grands chefs? «Non, mais j’y pensais depuis quelques années. Cette fois, les planètes étaient alignées, c’était le bon moment. Je suis arrivé à l’âge où on a envie de partager ses connaissances professionnelles», dit Stéphane Décotterd, 48 ans.
Dans un écrin avec vue
Depuis 2021, c’est lui et son épouse Stéphanie qui tiennent la Maison Décotterd, laquelle se décline en table gastronomique, bistro et bar lounge, dans l’ancien Hôtel Bellevue à Glion (VD). Un panorama à couper le souffle avec, ce jour-là, juste un rayon qui cisèle le haut des nuages.
Le sens du partage, c’est peut-être ce qui caractérise ce cuisinier d’exception, qui a mitonné son livre pour le rendre accessible plutôt que de publier une vitrine de savoir-faire. Soixante recettes de haut vol, découpées chaque fois en plusieurs petites préparations.
«Ce sont des recettes à tiroirs. De même que l’on ne mange pas forcément un menu entier, on n’est pas obligé de faire la recette complète. On peut simplement s’inspirer d’une sauce d’accompagnement ou d’une technique de cuisson.»
Des plats inspirés de la nature
Sur les pages lustrées, les pétales de féra du Léman côtoient un saumon des Grisons à la racine d’impératoire, une chiffonnade de veau du Seeland précède un bœuf limousin des Pléiades à la flouve odorante… Chaque plat est une œuvre d’art qui souligne l’important virage culinaire, entrepris en 2018 déjà.
Je veux continuer à faire plaisir avec une cuisine plus allégée,
moins de matière grasse et de sucre dans les desserts.
Fini, les homards, noix de Saint-Jacques et autres produits importés. Toute la cuisine de Stéphane Décotterd (une étoile Michelin et 18 points au Gault&Millau) repose sur trois piliers: traçabilité, saisonnalité et proximité. «C’est le bon sens paysan! Je m’adapte au cycle de la nature. Avant, je passais commande aux grossistes. Maintenant, je me calque sur les récoltes des artisans. Le circuit court demande plus d’efforts, mais j’ai du plaisir à travailler comme ça, dans le respect des produits.»
Son univers
Un film
Les films de Quentin Tarantino sont décalés, l’univers toujours original avec des bandes-son extraordinaires.
Un livre
Croque-en-bouche, de Fanny Deschamps. C’est truculent et plein d’anecdotes sur la vie du cuisinier Alain Chapel.
Un hobby
Marcher en nature, aux Pléiades, aux Avants, aux Rochers-de-Naye… Ça me fait du bien et ça me vide la tête.
Une épice
La cannelle est ma madeleine de Proust, qu’on trouve bien sûr dans la moutarde de Bénichon qu’on a à la maison.
100% local
Si le cuisinier va encore lui-même chaque semaine au marché de Vevey (VD), il a su s’entourer de toute une brochette de maraîchers, éleveurs, pêcheurs du cru. La liste ressemble à un poème de Prévert, entre Jean-François le champignonneur, «qui connaît près de 420 variétés», Anne-Marie la cueilleuse sauvage, qui lui ramène oxalis et tussilage, ou encore Paulo le chauffeur, qui fait la tournée des amis producteurs jusqu’à Tramelan (BE), où se niche un éleveur de bœufs wagyu.
Avec une jeune brigade en cuisine, une quinzaine d’employés, le chef étoilé a plus de temps pour peaufiner les créations. Un nouvel arrivage de canard et de cerfeuil tubéreux en vue? Le voilà qui phosphore au-dessus des fourneaux, réfléchit aux accords, imagine des mariages d’arômes inédits pour surprendre les palais. «J’ai mes carnets et mes listes. Je note beaucoup de choses, des idées, des associations de goûts.»
Mais il faut souvent plusieurs essais avant de trouver un nouveau plat. La racine d’impératoire, très amère en bouche, a résisté pendant une année, avant de se laisser apprivoiser en infusion. Tâtonner, tester, recommencer, avec son bras droit, Claryce Monnier, qui assure tout le suivi en cuisine. Un plat signature? Le chef hésite, se souvient d’un pot-au-feu au foie gras, très demandé quand il travaillait encore au Pont de Brent, mais qu’il a supprimé de son répertoire. «Je me lasse vite. Un plat a une durée de vie limitée. Quand il y a trop d’automatismes, il faut changer», dit celui qui préfère renouveler la carte en permanence.
Entre spontanéité et rigueur
Posé, le regard tranquille, pas de folie ni d’éclats intempestifs chez cet homme au naturel réservé, dont la seule touche de fantaisie est un bracelet de pierres noires au poignet, «un cadeau de ma fille Camille». On le sent timide et méticuleux, dur à la tâche, à l’image de cette enfance fribourgeoise, entre un père boucher, une mère «bonne cuisinière» et un jardin potager.
Le cycle des saisons déjà, l’amour de la terre et du bois. Il aurait pu devenir ébéniste, il a très tôt choisi les fourneaux, «pour la variété des horaires qui brise la monotonie». Entre le tumultueux André Minder (Le Petit à Saint-Légier) et le méthodique Gérard Rabaey (Pont de Brent), il a fait ses gammes, s’est imprégné et a retenu le meilleur. «J’ai gardé un peu des deux, la spontanéité de l’un et la rigueur de l’autre», dit-il en souriant.
Homme de la discrétion
Bocuse d’or suisse en 2008, distingué par le Mérite culinaire suisse en 2020, Stéphane Décotterd signe un parcours sans faute. Celui d’un homme discret, mais dont le génie explose dans l’assiette, se révèle dans cette cuisine claire et sans artifices, orfèvrerie délicate qui célèbre l’union du végétal et du terroir. Il est apaisé, serein, et surtout assurément passionné – il cuisine aussi à la maison et s’ennuie des casseroles quand il est en vacances. «Même après trente ans de métier, je continue à apprendre. Je veux continuer à faire plaisir avec une cuisine plus allégée, moins de matière grasse et de sucre dans les desserts. Les clients, je les prends en charge de l’apéritif au lendemain. C’est important qu’ils passent aussi une bonne nuit!»
+ d’infos Stéphane Décotterd, Gastronomie entre lac et montagnes, Éditions Favre, 200 pp. Le livre est disponible sur boutique.terrenature.ch
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