La porte-parole de la révolte a vaincu sa timidité pour défendre les paysans
Mardi, elle manifestait avec près d’un millier de personnes devant l’Office fédéral de l’agriculture, à Berne, pour réclamer de meilleures conditions de travail. À ses côtés, son fils Jean, 4 ans, l’accompagnait sur un petit tracteur, derrière lequel une pancarte affichait le slogan «Laissez-nous nourrir le peuple!».
Après avoir donné plusieurs interviews, Marlène Perroud rentrait dans sa ferme à Dompierre (VD), afin de s’occuper de ses seize vaches et retrouver son mari, Nicolas. Une journée bien remplie entre militantisme, travail de la terre et vie de famille, à l’image du quotidien effréné de cette trentenaire.
Attirée par les extrêmes
En 2024, elle est devenue l’un des visages du mouvement Révolte agricole Suisse, après avoir cofondé le groupe Facebook du même nom. «Depuis, tout s’est emballé. Je vis à 200 à l’heure, mais j’ai l’habitude. Je n’ai jamais eu assez de temps pour faire tout ce que je voulais. Participer à un débat public puis faire la traite quelques heures plus tard me plaît. J’aime les extrêmes», confie la Vaudoise en nous accueillant, entre tonte de génisses et soin aux veaux.
L’amour des vaches, Marlène Perroud l’a hérité de son père, éleveur à Château-d’Œx (VD). Un attachement tel que la petite fille rêvait d’abord de devenir ostéopathe pour bovins, avant de se diriger vers un apprentissage de fromagère.
Son univers
Un lieu
«Mon alpage, à Rougemont (VD). Il appartenait à mon arrière-grand-père. J’y monte tous les étés depuis cinq ans.»
Un objet
«Une machine à traire, je suis une vraie amoureuse du lait.»
Une chanson
«Birds, d’Imagine Dragons. J’écoute de la musique à l’écurie pour me donner de l’énergie.»
Un livre
«Silence, on ferme!, d’Anouk Hutmacher. C’est un témoignage touchant et engagé de la compagne d’un paysan fribourgeois.»
De la fromagerie à l’élevage
«Quand j’étais enfant, mon grand-père fabriquait du fromage dans un chaudron. Je trouvais ça magique. Puis j’ai travaillé dans une grande entreprise et je me suis rendu compte que j’aimais bosser seule», raconte celle qui a finalement suivi la voie familiale. «Être agricultrice, c’est exercer plein de métiers en un. Ça me convenait bien.»
Après plusieurs années en tant qu’employée, elle s’est installée dans une exploitation de 25 hectares il y a deux ans. Entre-temps, beaucoup de choses se sont passées.
Année 2020 cruciale
«L’année 2020 était intense. J’ai repris un alpage en mai, passé mon CFC en juin, je me suis mariée en juillet puis j’ai accouché de mon premier enfant en août. C’est une vie de fou!» s’esclaffe la jeune femme. Plus douloureux, le décès de sa fille Lola, à quatre mois et demi de grossesse, est survenu peu de temps après.
Traire mes vaches puis participer à un débat public dans la même soirée me plaît. Je me sens légitime, car je parle de ma vie.
«Je pensais qu’avec mon métier, j’étais en quelque sorte habituée à la mort. Mais ça a été très dur de la voir. Le lendemain, il fallait déjà se remettre au travail.» La vie a continué, au rythme de la traite chaque matin dès 5 h, puis d’un aller-retour à la laiterie pendant que la maisonnée dort encore. «Quand j’emmène mon fils à la crèche, je remarque que les autres parents viennent de se réveiller. Moi, j’ai déjà toute une journée derrière moi.»
Au calme avec les vaches
Si le démontage des clôtures et la comptabilité occupent sa saison froide, l’été se déroule en partie à l’alpage, auquel elle se rend à pied ou en quad. «Mon activité préférée est d’être au contact des vaches. Ce sont des moments de calme où je peux me poser», témoigne celle qui s’est formée dans les médecines alternatives, dont la méthode de rééquilibrage des flux énergétiques reiki, qu’elle utilise pour soigner ses bêtes.
Il y a un an, lorsque l’ouvrier agricole Arnaud Rochat a écrit: «pis quand est-ce qu’on se bouge ici?» sur le groupe WhatsApp des Jeunes agriculteurs vaudois, Marlène Perroud est la seule à avoir répondu. Portée par les manifestations qui faisaient rage en Europe, la paysanne a décidé de s’engager à ses côtés.
L’émotion sur les tracteurs
«Dans le canton de Vaud, un éleveur arrête de traire chaque semaine. Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Pourtant, nous avons la digne tâche de nourrir la population», rappelle-t-elle, n’hésitant pas à ouvrir ses comptes pour montrer les revenus et les dépenses du foyer.
«Mon compagnon travaille dans une entreprise agricole à l’extérieur. Malheureusement, je ne peux pas l’embaucher, car je n’arrive pas à sortir deux salaires. La prochaine génération sera-t-elle prête à autant se sacrifier?»
Moins de bureaucratie, des prix équitables et davantage de stabilité dans la politique agricole: la femme de 32 ans porte haut et fort les revendications du mouvement dans les médias ou lors de réunions avec des politiques. «Petite, je n’osais pas prendre la parole en classe et je n’ai jamais été punie. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de m’exprimer et je me suis même fait virer d’un supermarché pendant une action. Cette année m’a changé! Mais je me sens légitime, car je parle de ma vie et défends celle des gens de la terre», dit l’agricultrice qui est également suivie chaque semaine par une équipe de tournage d’un documentaire sur la crise paysanne.
Sa famille et sa ferme avant tout
Le moment fort des révoltes? Son discours improvisé lors d’un rassemblement de tracteurs en février. «J’ai parlé des difficultés du secteur laitier. Mes jambes tremblaient. Ces réunions ont permis de nous donner de la force. Nous en avions besoin», déclare cette battante, qui a pratiqué la lutte suisse pendant six ans.
À l’avenir, Marlène Perroud aimerait que la situation s’améliore «pour pouvoir faire autre chose, car c’est épuisant». Avoir cinq enfants est un de ses plans. «Je souhaite profiter de ma ferme et de ma famille. Je n’ai besoin de rien de plus, si ce n’est la reconnaissance de mon travail.»
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