L'ancien paysan s'est reconstruit en donnant vie à des animaux géants
À l’orée de la forêt, un éléphant de douze mètres de haut attire l’œil des promeneurs. Quelques mètres plus loin, un canard, un coq, une grenouille, un cheval et un loup surgissent dans le brouillard. Nous ne sommes pas dans un zoo ni dans une réserve naturelle, mais sur les terres de l’artiste Dominique Andreae, à Chesalles-sur-Moudon (VD).
Il y a vingt-cinq ans, cet ancien agriculteur a tout arrêté pour construire des statues de ferraille aux formes et aux grandeurs variées. En ce moment, sa dernière création – une abeille géante de 2,4 tonnes –, est exposée à Bossonn’art, manifestation culturelle en plein air à Bossonnens (FR). Un accomplissement de taille pour ce bourreau de travail: il ne lui aura fallu que quelques semaines cet été, malgré un poignet cassé.
Histoire d’une renaissance
«Je suis incapable de rester sans rien faire, sinon je deviens désagréable, voire malade. Tous les jours, je dois réaliser quelque chose avec mes mains. C’est comme ça», lance-t-il dans un sourire chaleureux, en faisant visiter la ferme familiale. Car avant d’en arriver là, notre homme élevait des vaches et cultivait des patates, du blé et des betteraves avec son père. «Mon truc, c’était plutôt la mécanique et la moto, mais comme mon frère et mes sœurs ne voulaient pas reprendre, je suis resté au domaine», raconte ce grand bricoleur, qui a bâti lui-même sa première maison.
Au début, l’agriculture me
manquait, puis je me suis fait une raison. Quand je soude, j’oublie les malheurs du monde.
Or, à l’âge de 40 ans, de graves problèmes de dos et sept hernies discales l’ont contraint à vendre son bétail et mettre en location ses 16 hectares. «Je ne pouvais plus me baisser, et c’est toujours le cas. Je suis resté sous morphine pendant dix ans. L’agriculture me manquait. Quand mon voisin venait labourer, l’odeur de la terre me rendait mal. J’étais à deux doigts de me foutre en l’air.» Jusqu’au jour où il a récupéré des chutes de fer et a commencé à les assembler jusqu’à former… une petite vache. Depuis, il ne s’est plus arrêté.
Des trésors à la pelle
Presque tous les jours, de 8 h à 20 h, le sexagénaire meule et soude des pièces issues principalement de récupération ou du démontage de vieilles machines agricoles, comme en témoigne la cinquantaine de palox remplis de trésors, dont certains pesant plusieurs tonnes. Son dos s’en porte-t-il vraiment mieux?
«Non, mais je me suis bien équipé. J’ai un chariot élévateur, deux lève-palettes et un camion-grue. Plus je construis quelque chose de grand, moins c’est risqué, car je suis obligé de ne rien porter», dit-il en se déplaçant d’un pas chancelant, tranchant avec la poigne solide de ses mains. À côté, son épouse Gabriele et mère de ses quatre enfants le regarde tendrement.
«Même s’il a mal partout, il ne s’arrête jamais et y pense même la nuit. Il est terrible! s’esclaffe cette ancienne aide-vétérinaire aux tatouages d’éléphant et d’oiseaux. Mais ça l’a sauvé. Je suis sa première fan.»
La démesure pour marquer le coup
Si le Vaudois travaille principalement sur commande en fonction des envies de ses clients, il a un faible pour les statues d’animaux, qu’il produit par centaines. Parmi ses préférées, un martin-pêcheur de 4,70 m de haut installé sur un rond-point à Founex (VD) ou une fourmi géante sur un autre giratoire, à Lonay (VD). Chez lui, une centaine de créatures d’acier décorent l’intérieur et l’extérieur de la bâtisse.
«Beaucoup de gens ont voulu m’acheter cette vache, mais je n’ai pas réussi à m’en séparer», glisse-t-il en pointant une imposante bête composée à partir de dix vieilles charrues. Au bout de la parcelle trône également une girafe quatre fois grandeur nature faite d’anciens pipelines aux côtés du fameux éléphant, fruit de cinq mois et demi de travail, héliporté en 2017 sur les quais de Montreux à l’occasion de la Biennale de sculpture.
Succès international
«Faire de grandes choses, ça marque le coup. Comme ça, je me dis que je ne suis pas complètement foutu. Même si une fois que c’est fini, je me trouve un peu fou», déclare-t-il en riant. Prochain défi: une gigantesque libellule pour accompagner son abeille. «J’adore représenter des animaux. J’ai l’impression que mes sculptures prennent vie.»
Aujourd’hui, les œuvres de Dominique Andreae se vendent dans toute la Suisse, ainsi qu’en France et même au Mexique, chez des connaissances et des collectionneurs. «À la base, je ne connaissais rien à l’art et je côtoyais surtout des agriculteurs. C’est un grand changement, car ces deux mondes sont très éloignés.»
Pour autant, l’ex-paysan ne pourrait plus s’en passer. «Quand je soude, j’oublie les malheurs du monde et les proches que j’ai perdus, pour penser au moment présent», lâche-t-il dans un soupir.
Faire de chez soi son paradis
Des vacances? Très peu pour lui. «Une fois, on est partis au Canada. C’était bien, mais pas trop longtemps. Mon atelier, c’est mon paradis. J’aime les gens, mais pas la foule. Je suis sauvage, comme un vieil ours», pouffe ce grand-père de cinq petits-enfants, qui se plaît à leur fabriquer tracteur, remorque et épandeuse miniature.
«Ma famille me dit souvent de me trouver un autre hobby moins fatigant pour mes vieux jours, mais je n’en ai pas l’intention, conclut-il en se retirant pour enfiler sa salopette. Je suis un drogué de boulot et j’assumerai jusqu’au bout.»
Son univers
Un chanteur
Johnny Hallyday , un grand artiste qui s’est fait tout seul. Je n’ai presque que des CDs de lui à l’atelier.
Un film
«Salaud, on t’aime», de Claude Lelouch. Une belle histoire de famille avec Johnny Hallyday, bien sûr!
Un plat
Une côte de bœuf accompagnée d’un bon verre de rouge, tout simplement.
Un lieu
Mon atelier est le seul endroit où je me sens vraiment bien.
+ d’infos La 13e édition de Bossonn’Art dure jusqu’au 14 septembre. L’artiste sera présent sur place ce vendredi 30 août. Sa page Facebook: Art-Métal.
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