L'artisan vaudois qui donne ses lettres de noblesse au skateboard

Amoureux à la fois des sports de glisse et du bois, le Combier a fondé LGS Board Manufacture 
il y a vingt-cinq ans. Il figure parmi les nominés du Prix Montagne, pour lesquels le public peut voter jusqu'au 18 août.
8 août 2024 Clément Grandjean
© Clément Grandjean

La porte de l’atelier est ouverte. Odeur de sciure, de vernis, silhouettes mystérieuses des machines peuplant un espace que strient les rayons du soleil matinal dans la poussière en suspension. Le bourdonnement d’une scie qui ralentit et Laurent Golay apparaît, look d’éternel adolescent contrastant avec une barbe résolument grisonnante.

Il a 50 ans bientôt, dont la moitié à forger dans le bois auquel il a voué sa vie des planches de skate destinées aussi bien à enchaîner les figures sur des rampes qu’à être exposées comme de véritables objets de collection.

Dans l’entrepreneuriat comme 
dans le skate, tu apprends en tombant, puis en te relevant.

Un véritable métier d’art

Fabriquer des skateboards dans la vallée de Joux à l’heure où l’essentiel de ces objets sortent d’usines chinoises, le pari un peu fou de cet enfant du pays lui vaut, à force de ténacité, de figurer parmi les noms qui comptent dans le cercle fermé des métiers d’art.

Et parmi les six sélectionnés – deux seulement sont issus de Suisse romande – à l’édition 2024 du prix lancé par l’Aide suisse à la montagne pour soutenir des projets amenant de la valeur ajoutée dans les régions d’altitude.

Caquelon contre planche

Sur un établi, il saisit une petite planche: «C’est ma dernière création, je suis encore en train de la tester, dit-il en jaugeant de la paume la douceur du bois. Je me suis inspiré d’un skate californien des années 1970. J’aime créer des modèles inédits, rechercher la forme et l’équilibre parfaits.»

Derrière ses lunettes, ses yeux ont la couleur que peut prendre le lac de Joux quand approche l’orage. C’est sur ce plan d’eau que le Combier contracte le virus de la glisse, il y a quelques décennies de cela, en grimpant pour la première fois sur une planche à voile. «Je passais mes soirées à laver des caquelons dans un restaurant pour me payer du matos», se souvient-il. Mais le vent est capricieux, et le garçon trompe l’ennui des journées sans air sur son skateboard.

Tour du monde

Adolescent, il construit avec son père une rampe au fond du jardin. Il y passera tout son temps, trop sans doute de l’avis de ses professeurs, poursuit avec un apprentissage de menuisier, plaque tout pour vivre de la glisse, voyage autour du monde de skateparks en stations de ski, enchaîne les compétitions, décroche quelques sponsors, rencontre dans les Alpes valaisannes Padu, qui deviendra sa femme. Et est rattrapé par la réalité: «À un moment donné, tu réalises que si tu n’es pas devenu champion du monde, il va falloir faire autre chose.»

C’est à cette période que le paternel lui propose de reprendre la menuiserie familiale. Le rêve, ou presque: «Je me suis dit que d’être mon propre patron m’offrirait la liberté dont je rêvais, confie-t-il en souriant. Que les jours de neige, je pourrais fermer l’atelier pour partir rider de la poudre. J’ai vite compris que ça ne fonctionnait pas tout à fait comme ça.»

Bois du Risoux et du Canada

Dans l’atelier du Brassus, les mandats de menuiserie font peu à peu place à la construction exclusive de skateboards. Du morceau de bois brut aux premiers tricks sur le trottoir d’en face, Laurent Golay fait tout lui-même, donnant naissance à des planches dont certaines intègrent du bois issu des forêts du Risoux.

Pas autant qu’il le souhaiterait cependant: «J’ai fait des essais avec du bois local, mais mes premiers skates ont explosé en mille morceaux. J’ai dû me résoudre à commander de l’érable canadien, souple et robuste à la fois.» Cela ne l’empêche pas de forger le noyau de certaines de ses créations dans de l’épicéa, ou d’utiliser le bois des feuillus de la région pour confectionner les hypnotiques placages de ses longboards.

500 skates par an

Au rythme de 500 skates par an, le Vaudois se crée sa place, à mi-chemin entre tendance urbaine et artisanat de luxe: sensible à la précision de son travail, une grande marque horlogère du Brassus lui passe commande de dizaines de planches destinées à ses clients les plus sélects. Il faut dire que certains des objets qui sortent de son atelier sont de véritables œuvres d’art.

Le summum? Sans doute ces stand-up paddles, rabotés à la main et ornés de marqueterie, dont la fabrication exige des centaines d’heures de travail. Certains des très rares exemplaires produits sont partis chez des collectionneurs du Japon ou des États-Unis.

Au-delà des modes

Laurent Golay a vu la pratique passer des friches urbaines aux projecteurs des Jeux olympiques. «Le skate a toujours connu des hauts et des bas, mais il a survolé les effets de mode. L’objet lui-même n’a pas changé, d’ailleurs. La base, ça reste sept couches d’érable.» Poursuivant sans trêve sa quête de la forme ultime, il équipe certains des plus talentueux skateurs romands et s’adapte aux demandes des clients: il y a peu, il a créé ses premières planches destinées au longboard dancing, nouvelle pratique en vogue.

Il s’est aussi spécialisé dans la conception de skateparks, faisant profiter des communes de tout le pays de sa maîtrise de la glisse. Reste qu’à une quinzaine d’années de la retraite, le Vaudois est parfois pris d’un vertige: la transmission ne s’avère pas facile lorsqu’on a créé un marché inédit.

C’est l’heure pour Laurent Golay de retourner à ses machines. Mais avant, il ne résiste pas à l’envie de tester cette nouvelle planche. Sur le bitume chauffé à blanc, il enchaîne les courbes avec la grâce de celui qui fait corps avec le bois.

+ d’infos Les votes pour le Prix Montagne du public sont ouverts jusqu’au 18 août: www.prixmontagne.ch, www.lgs-sk8.ch

Son univers

Un livre

«Le monde selon Guirec et Monique», de Guirec Soudée. L’aventure incroyable de ce jeune Breton parti faire le tour du monde à la voile avec sa poule.

Un morceau

«Starman», de David Bowie. Ce classique accompagne à merveille le long rabotage de mes paddles.

Un plat

Le filet mignon aux morilles. Une valeur sûre!

Un lieu

Le Creux du Croue (VD). L’hiver, j’ai passé des heures à aménager des sauts dans cette combe isolée.

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