L'herboriste d'en haut consacre sa vie à soigner avec les plantes et les mots

Au fil d'une existence bouleversée par les deuils, la Valaisanne de cœur puise sa force dans la montagne, l'écriture et l'amour du prochain. À 80 ans, elle sort son 35e livre et réfléchit déjà au suivant.
8 août 2024 Lila Erard
Andrée Fauchère est une herboriste aux multiples vies. © Sedrik Nemeth

Dans son agenda, noms de plantes, idées de livres, mots-clés épars et rendez-
vous multiples se bousculent et noircissent les pages. Andrée Fauchère est une femme occupée, à l’image de son existence riche et mouvementée, si difficile à résumer. Mais la grande dame n’a pas peur des défis et s’y attelle en ce matin de juillet, près de son chalet, à Évolène (VS). La Neuchâteloise d’origine s’est installée dans cette vallée il y a plus d’un demi-
siècle, faisant de la montagne son «cocon» et son métier.

Trois étés à 2600 mètres

Aujourd’hui, celle qui est devenue herboriste, accompagnatrice de vie et autrice est une figure incontournable de la région, reconnaissable à ses cheveux aux reflets bleus assortis à la plupart de ses vêtements. «C’est une couleur que j’aime. Et puis je ne voulais pas ressembler à toutes les vieilles», s’esclaffe-t-elle, avant de replonger dans ses souvenirs, huitante ans plus tôt, pour nous conter son histoire. Née pendant la Seconde Guerre mondiale à La Chaux-de-Fonds (NE) d’un père militaire et d’une mère couturière, la jeune fille grandit au rythme angoissant des avions qui survolent la ville. «Avec ma sœur, nous devions préparer chaque soir nos habits en cas d’urgence pendant la nuit. Ce sont des choses qui marquent.»

Végétaux en haute estime

Pour se ressourcer, elle passe son temps dans la forêt et ramasse des plantes. «Je voyais les végétaux comme des êtres vivants. Je leur parlais et ils me racontaient ce qu’ils avaient vécu.» Lors de la fermeture de la caserne, la famille déménage à Neuchâtel et l’adolescente entreprend un apprentissage de commerce. À l’âge de 20 ans, elle donne naissance à son premier enfant. Mais au bonheur succède le drame. Quelques années plus tard, la mort de son mari dans un accident de la route l’incite à changer de vie et à élever son fils loin de la plaine. «Malgré la tristesse, je l’ai vécu comme un retour aux sources.»

Un jour, j’ai dû soigner un alpiniste gravement blessé en haute 
montagne. Le lendemain, il était prêt à repartir. C’était magique.

As de la débrouille

Sportive et amatrice de varappe, elle est contactée pour faire des portages, soit amener des denrées aux alpages et aux cabanes durant l’été. Sa rencontre avec le guide Jo Fauchère, son futur époux et père de son deuxième enfant, confirmera son amour des sommets. En 1975, elle devient l’une des premières femmes gardiennes de cabane du pays. Les trois saisons qu’elle passe à 2600 mètres d’altitude la marqueront à jamais. «Là-haut, peu importe notre métier ou notre genre, tout le monde est égal. Il n’y a pas d’ego. J’ai appris à me débrouiller seule. Un jour, un de mes fils a perdu connaissance et j’ai dû le porter sur mon dos jusqu’à Arolla (VS) pour le faire soigner», narre-t-elle. Une autre aventure, celle de la rencontre avec un alpiniste gravement blessé, change à jamais sa destinée. «Je l’ai veillé toute la nuit et l’ai soigné avec un cataplasme de plantes et de limon. Le lendemain, il était prêt à repartir. C’était magique. C’est là que j’ai décidé de m’intéresser davantage aux soins.»

Résilience à toute épreuve

Mais la vie est semée d’embûches et la trentenaire, alors professeur de ski alpin et nordique, commence à souffrir de graves problèmes cardiaques, l’obligeant à stopper ses activités. Parallèlement, son mari s’envole au Népal pour gravir un 8000 mètres, dont il ne reviendra jamais. Dans son premier ouvrage, elle retrace cette expédition tragique. «On ne peut pas vivre autrement qu’en acceptant, raconte-t-elle aujourd’hui d’un ton calme et affirmé. Je devais montrer à mes enfants que la vie pouvait être belle. Je ne voulais pas être l’ombre de moi-même.» S’ensuit une «période de nœuds qu’il fallait dénouer». Elle descend de la vallée pour se reconstruire dans une vieille ferme vaudoise, rédige divers récits de vie et textes initiatiques, puis se forme à l’herboristerie en France. Un jour, l’appel des cimes reprend le dessus et la montagnarde de cœur remonte à Évolène.

Son univers

Un lieu

Le sommet de la Dent-Blanche (VS)
«Un endroit désert où je me suis longtemps ressourcée.»

Une musique

«La Messe des morts», de Gossec
«Il en émane de la joie et de la profondeur. Cela me fait me sentir bien.»

Un plat

Les champignons
«Surtout parce que j’aime les ramasser.»

Un objet

Un caillou
«J’en ai toujours un avec moi dans mon sac.»

Tout pour sa plante fétiche

De retour auprès des siens, Andrée Fauchère enseigne les plantes médicinales et soigne grâce à la naturopathie. Un végétal, plus particulièrement, la conquiert: Rhodiola rosea, originaire de Sibérie, dont les rhizomes ont des propriétés bienfaisantes sur le corps et l’esprit. «Cette succulente est utilisée depuis des millénaires par les peuples vikings et mongols. Elle aide l’organisme à gérer le stress et la fatigue», assure l’herboriste, qui la cultive en altitude et l’apprête en diverses préparations en collaboration avec l’Institut Mediplant, qui reprendra bientôt la petite l’entreprise.

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