Loin de l'agitation humaine, l'artiste érudit a bâti sa forteresse enchantée
C’est un coin de forêt fantastique, où l’on croise un fou qui danse, un garde ivre, un ermite avec sa lanterne et un monstre aux griffes pointues. Nous sommes pourtant au pied du Jura, en bas de la route du col de Marchairuz (VD). C’est ici, au bout d’un sentier sans issue, qu’a été érigée la Grande Citadelle, un univers onirique d’inspiration médiévale imaginé par François Monthoux.
Depuis un an et demi, ce Vaudois fabrique les milliers de pièces en argile et ciment de sa forteresse d’un autre temps. La tour la plus élancée culmine à près de trois mètres de haut, entourée d’une cathédrale, d’une académie de musique, d’une université et d’une place du Marché. «J’avance sans plan prédéfini. Tout ce que je veux, c’est faire quelque chose qui monte, tout comme les arbres s’élèvent pour chercher la lumière», illustre-t-il en nous accueillant sur place à la tombée du soir, accompagné de son chien Sirius.
La fascination des fourmilières
Aussi loin qu’il s’en souvienne, la sculpture a toujours fait partie de sa vie. Enfant, il tresse des brins d’herbe et assemble des bouts de bois autour de la maison familiale, à Bière (VD). «Mon rêve était de bâtir un village sur la lune», se rappelle-t-il.
Inspiré par son grand-père imprimeur, féru de littérature, le jeune garçon s’intéresse à l’histoire, la philosophie, la théologie et les «civilisations humaines», quand il ne s’évade pas en dessinant des créatures ésotériques et des machines infernales.
À l’école, il est perçu comme «étrange». «J’avais des mauvaises notes, mais les professeurs voyaient bien que j’étais cultivé», résume-t-il. Habitué des échappées en solitaire, il observe longuement les fourmilières, «une autre forme de société où la vie se déploie».
Une posture stoïcienne
Quelques années plus tard, l’adolescent entreprend des études de conception multimédia puis de vidéo, à Lausanne. Mais après plusieurs courtes expériences en agences de communication, il décide d’arrêter. «J’ai fait un rejet de la ville et de ses structures hiérarchiques implicites. Est-ce par choix ou par incapacité? Je ne sais pas», concède le trentenaire, qui vit toujours à Bière.
Ces huit dernières années, il les a passées principalement dans les bois, marchant «lentement et sans destination», filmant les insectes, les premières neiges et ses réflexions autour de la psychologie des masses ou de la morale, afin d’alimenter sa page YouTube. «Je suis tout de même intéressé par ce qu’il se passe dans le monde moderne, mais j’adopte une posture stoïcienne: j’essaie de ne pas souffrir de ce qui ne dépend pas de moi.»
Des symboles par centaines
C’est lors de ses escapades qu’a été érigée sa première citadelle. Durant l’été 2022, la canicule avait asséché le lit de la rivière Toleure, rendant disponible de grandes quantités d’argile. «J’ai d’abord construit des escaliers sur les rochers. On aurait dit que des gens habitaient là. Puis, j’ai continué sans réfléchir.»
Trois mois plus tard, l’impressionnant édifice blanchâtre attirait les promeneurs et les médias, de la Suisse à l’Espagne en passant par la télévision chinoise et les journaux indiens. «Ce phénomène était intéressant, mais l’aboutissement de ma sculpture avait davantage de valeur à mes yeux.» Depuis, la pluie a englouti le village, mais son travail continue un peu plus haut, en matériaux plus durables et sur autorisation communale.
Quand je vois l’émotion dans
les yeux des visiteurs, cela
me touche et m’ouvre une porte
sur la civilisation humaine.
Sur un établi ou accroupi au sol, l’artisan bâtit jour après jour les quartiers de sa cité enchantée, truffée de symboles. «Ici, il s’agit de l’homme qui parle aux chiens, dit-il en pointant un personnage. Il se moque du langage et de la raison, ignorant les affaires des humains.» Non loin, le Champ des crânes anciens est composé de centaines de petites têtes de morts, que le Vaudois a aussi accrochées aux cordons de son pull.
«Je ne suis pas religieux, au sens où je ne pratique pas de culte. Mais suis-je pour autant spirituel? La dualité entre matière et idée est complexe», disserte-t-il, avant de confesser: «Je me pose beaucoup de questions, sachant que je ne pourrai jamais connaître les réponses. J’ignore si c’est une qualité ou un défaut.»
Encore plus grande et belle
Depuis qu’il a communiqué l’emplacement de sa dernière création, les curieux de Suisse et de l’étranger défilent en nombre, surtout les soirs d’été où la citadelle est parée de guirlandes illuminées. «Je suis content de voir autant de gens. Cela m’ouvre une porte sur la civilisation humaine. Quand j’observe l’émotion dans leurs yeux, au-delà des formules de politesse, ça me touche», confie celui qui vit des dons des visiteurs.
Le reste du temps, d’autres êtres peuplent les lieux, comme les souris, qui ont creusé un abri dans la bibliothèque, et les rouges-gorges, qui nichent sous l’une des statuettes à la belle saison. «J’aime que ma sculpture existe pour les animaux. L’oiseau l’a vue sans le filtre de la raison. Cet art n’a pas de cadre ni de frontière.»
La forteresse s’étendra-t-elle davantage? «Je déciderai au printemps. Idéalement, je l’aimerais encore plus grande et plus belle, mais je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait», admet-il en observant ses créatures extraordinaires se fondre dans l’obscurité. Car si l’édifice résiste à la pluie, il n’en sera pas forcément de même avec la neige ou la grêle. «Cela ne me décourage pas. Donner de la valeur aux choses destructibles est la nécessité de notre condition de mortels.»
+ d’infos www.francois-monthoux.ch
Son univers
Un film
«Bonjour le Monde!, de Anne-Lise Koehler et Eric Serre. La vie dans un marais avec des décors en papier mâché. Magnifique.»
Un groupe de musique
«Rammstein. Un mélange entre poésie humaine et sonorités industrielles.»
Un livre
«Ainsi parlait Zarathoustra, de Friedrich Nietzsche. L’influence principale de ma pratique artistique.»
Un objet
«Une caméra. J’aime multiplier les regards.»
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