Ils viennent de boucler leur tour des cantons de Suisse en famille
Le moteur est à peine coupé que déjà le campement prend forme. L’air de rien, tout en échangeant plaisanteries et coups de main, chaque membre du foyer participe à la tâche. La métamorphose s’opère avec une fluidité qui trahit un processus mille fois répété, le véhicule anonyme se changeant en quelques minutes en lieu de vie. Sous le soleil de la fin de journée, on ouvre le toit relevable, on tend le store, on installe le tapis de sol, une table, quelques chaises, un plan de travail, le réchaud, et l’indispensable cafetière italienne.
Si la famille Wyss est rompue à l’exercice, c’est parce qu’elle a réalisé ce ballet des dizaines de fois: les cinq Morgiens viennent tout juste
de terminer un défi qu’ils s’étaient fixé en 2012, celui de camper dans tous les cantons de Suisse. «C’est toi qui raconteras le mieux», souffle Gabriel Wyss à son épouse lorsqu’on lui demande d’évoquer le début de cette aventure collective. Et elle raconte, Mélanie, ce goût pour le voyage contracté lors de séjours en Guinée ou au Sénégal, pas tant par attrait de l’exotisme que par la profonde remise en question qu’a suscitée cette confrontation à d’autres réalités.
Fêter Noël dans le bus
Et puis, il y a cette année en Australie durant laquelle ils expérimentent une nouvelle manière de découvrir un pays, en évitant les sites des catalogues touristiques pour se fier aux conseils des indigènes; il y a l’achat d’un bus Volkswagen, cette envie de mieux connaître la Suisse, ce camping à la ferme thurgovien conseillé par des amis et où ils vivent un moment hors du temps. Il y a le goût du défi, surtout, cet outil imparable pour renforcer les liens familiaux, que partagent tous les membres du quintette. Au retour de la Thurgovie, ils concluent donc un pari, qui s’articule en trois règles: «Camper au moins une nuit dans chaque canton du pays, le faire tous les cinq, et avec notre bus», énoncent ceux qui étaient alors des enfants, et sont aujourd’hui des adolescents. Loïc, 17 ans, s’apprête à entamer sa dernière année de gymnase, Zoé, 14 ans, sa 11e année d’école obligatoire et Jérôme, 12 ans, entre au secondaire. Le tout entre deux entraînements d’unihockey, de cours de musique et séances scoutes, trois activités que partagent tous les membres de la fratrie.
Avec le temps, le campement a pris de l’ampleur: «On monte un vrai petit village», relève Gabriel Wyss en souriant. Le bus, deux tentes, la table au centre autour de laquelle se sont disputées mille parties de jeux de société et tenus autant de conseils de famille. Parce que chez les Wyss, la démocratie fait figure de règle cardinale, comme cette fois où ils étaient près de faire une entorse au règlement: «Il y a deux cantons dans lesquels n’existe aucun camping officiel: Appenzell Rhodes-Extérieures et Bâle-Ville, se souvient Mélanie Wyss. Pour le second, on a failli laisser tomber, mais le vote a été sans appel: les enfants ont catégoriquement refusé d’abandonner, et on a finalement déniché un site au calme pour la nuit.» Autour de la table pliante, les souvenirs fusent, chaque récit en appelant un autre. «Vous vous souvenez de cette fête de Noël passée dans le bus? On s’était échangé nos cadeaux en pleine forêt.» «La fois où Jérôme s’est fait piquer par une abeille juste avant de prendre la route? On avait aménagé un diable de façon à pouvoir le transporter!» «Et ce camping sur la rive du Klöntalersee? L’eau était glaciale, mais c’était tellement beau.»
Pas de politique à la maison
La Thurgovie sera le premier canton colorié par les enfants sur une carte nationale encore vierge. Aujourd’hui, elle est complétée et marquée par le temps, parsemée de dates et de mots clés. Comme si en onze ans, rien n’avait changé et tout avait changé à la fois. Le bus, affectueusement surnommé la «boîte de conserve», est devenu de plus en plus petit, les velléités d’indépendance des jeunes de plus en plus grandes.
Chez les adultes aussi, il y a eu du changement puisque l’infirmière a été élue conseillère communale, municipale puis syndique de Morges (VD), en 2021. Ingénieur du son et organisateur d’événements, son mari l’a soutenue dans sa carrière politique, endossant avec enthousiasme un nouveau rôle de père au foyer et se reconvertissant dans la formation d’adultes. «Nous avons des parcours éclectiques, confie Mélanie Wyss. Surtout, nous sommes curieux et aimons plonger dans l’inconnu. Si ce n’est pas le cas, il ne faut pas devenir syndique!» Suit, immédiatement, une précision: «On ne parle pas de politique à la maison. On discute de la vie locale, un peu du quotidien de mon travail, et on débat de sujets de société, mais c’est tout.»
Ce qui est sûr, c’est que le défi aura laissé aux trois enfants une vision privilégiée d’un pays qu’ils ont sillonné au gré des week-ends et des vacances. À l’heure de ranger la carte topographique, aucune nostalgie chez les Wyss: les jeunes rêvent de vacances entre copains, les parents d’un peu plus de confort. «Cela a été un voyage à travers la Suisse, mais aussi à travers les âges, souffle Gabriel. Au-delà du challenge, cela aura contribué à souder notre famille.»
Devant le bus, les discussions vont bon train. Personne ne semble pressé de lever le camp. Le soleil caresse les vignes qui descendent en pente douce vers la ville de Morges et, plus bas, fait miroiter la surface du Léman. Le pari a beau être gagné, l’aventure familiale est loin d’être terminée.
Leur univers
Un type de camping
Celui à la ferme. C’est ce qui nous a donné le goût de la pratique.
Un artiste
Aldebert! On l’écoute à chaque départ en bus, même cet été encore.
Un jeu de société
Le Rummikub. Silencieux et pratique à transporter, on y a joué des heures.
Un plat
Concombre et pâtes au pesto, avec un œuf au plat et beaucoup de fromage râpé!
Envie de partager cet article ?