Pour Léa Graham, les légumes sont bien plus qu’une simple garniture

La nouvelle cheffe du restaurant du Centre Pro Natura de Champ-Pittet (VD) met un point d’honneur à valoriser la cuisine végétarienne. Elle peaufine son menu au fil des saisons avec une bonne dose d’imagination.
23 juin 2022 Céline Duruz
François Wavre/ Lundi 13

Souriante et pétillante, la nouvelle cheffe du restaurant du Centre Pro Natura à Cheseaux-Noréaz nous accueille en chuchotant, à l’arrière du château. Ce jour-là, Léa Graham a perdu sa voix, ce qui n’entame en rien sa bonne humeur. Au contraire, elle s’en amuse en sirotant des tisanes au miel. À 31 ans, la Vaudoise est pour la première fois à la tête de son propre établissement. «Je sens que je suis à ma place. Je peux enfin proposer ma cuisine. C’est stressant, mais très motivant aussi!»

Décontractée entre deux services, elle confie se mettre dans sa bulle avant les coups de feu, dès 10 h, devenant un brin perfectionniste. La rigueur de son métier, apprise au contact des plus grands comme à l’Hôtel de Ville de Crissier, s’applique alors. Si elle reconnaît ne pas réussir encore totalement à lâcher prise, elle est fière de pouvoir compter sur une équipe fiable. Notamment sur son associé Fabio, rencontré derrière les fourneaux. «On est complémentaires, il parvient à suivre mon raisonnement, ce qui ne doit pas être facile parce que je fonctionne beaucoup à l’instinct.»

Je sens que je suis à ma place. Je peux enfin proposer ma cuisine. C’est stressant, mais très motivant aussi!

Depuis son entrée en fonction en janvier, la jeune cheffe a modernisé la carte, organisant des brunchs le dimanche, où les toasts à l’avocat – si tendance, «mais sans intérêt» – n’ont pas leur place. «Je travaille avec des produits de saison; d’ailleurs je suis contente que l’hiver soit terminé, je n’en pouvais plus des choux et des panais, rigole l’habitante de Prilly (VD). Souvent, les légumes sont saupoudrés de persil et réduits au simple rôle de garniture, alors qu’ils peuvent devenir de grands plats en tant que tels.»

À la recherche de denrées de qualité, elle a arpenté la campagne ces derniers mois afin de dénicher des partenaires pour s’approvisionner, découvrant une facette de la profession dont elle n’avait jusqu’ici pas conscience. Ses légumes bios viennent de Pomy, sa farine de La Côte, ses fromages de la région. «J’ai même envoyé ma maman cueillir six kilos de fraises en plein champ, note-t-elle. J’ai de la chance d’être bien entourée par ma famille. Pouvoir compter sur eux est une chance.»

Rêve de cuisine

Enfant, elle regardait tous les midis l’émission Bon appétit bien sûr de Joël Robuchon avec son grand-père. Puis, elle se mettait aux fourneaux de la maison familiale de Bursins (VD) pour tenter des expériences culinaires «contenant toujours beaucoup de farine, de sucre et d’eau». «J’aimais faire un peu la sorcière.» Bonne pâte, sa petite sœur lui servait de cobaye. Toujours en contact avec la nature qu’elle affectionne, Léa Graham se faisait quelques petits sous au printemps en effeuillant les vignes de son grand-papa. Elle propose d’ailleurs les vins de sa famille sur sa carte, une reconnaissance pour ses proches à qui elle doit tant. «Ce métier m’a toujours intéressée, mais ils m’ont sensibilisé au fait qu’il était rude, stressant. Ils ont eu raison, je n’aurais pas eu les épaules assez larges à 15 ans pour effectuer cet apprentissage.»

Léa Graham choisit alors de poursuivre ses études au gymnase, avant d’obtenir un bachelor à la Haute école d’art et de design de Genève. Mais, à 21 ans, elle change finalement de voie, en gardant toutefois un côté esthète qui ressort dans la présentation de ses plats. Sur les conseils de son oncle, elle réalise son rêve en intégrant la cuisine d’un chef «très inventif comme moi, mais malheureusement peu pédagogue». Elle poursuit son parcours dans un établissement plus traditionnel. En 2015, voulant se tester et «grandir vite dans ce monde», elle s’inscrit au concours des meilleurs apprentis vaudois. Et remporte le titre. «Cela a permis de me conforter moi-même.»

Monde végétal fascinant

Elle qui trouve «barbant de cuisiner de la viande» ne cesse de stimuler sa créativité et les alliances de saveurs insolites, entre deux baignades dans le Léman. «Je cherche l’inspiration sur Instagram ou dans mon frigo. J’aime arriver le matin, l’ouvrir et improviser avec ce que je trouve.» Il n’est d’ailleurs pas rare de la voir fureter dans les jardins entourant le château de Champ-Pittet, à la recherche de légumes ou de fleurs pouvant égayer son plat du jour. Une amie lui a même appris à reconnaître les plantes comestibles, développant encore un peu plus son univers végétal. «Il suffit parfois que je voie du sureau sur mon chemin pour que des associations naissent dans ma tête», explique-t-elle.

Spontanée, elle n’hésite pas à contacter les grands chefs internationaux qui l’inspirent sur les réseaux sociaux, au culot. C’est ainsi qu’elle a rejoint durant quelques mois la brigade du Britannique Douglas McMaster, pour qui «le gaspillage est un échec de l’imagination». «Je vise le zéro déchet, mais je n’y suis pas encore, reconnaît Léa Graham, bilingue grâce à son papa britannique Andrew. Faire de la levure avec du pain rassis ou une mère de vinaigre avec le fond des bouteilles de vin? Il y a tant à faire… Je veux que ma démarche soit cohérente de A à Z.»

Jamais à court d’idées, elle se réjouit déjà de la fermeture saisonnière du Centre nature cet automne. Seule dans sa cuisine, elle prévoit de réaliser des conserves et des pots de légumes lactofermentés afin d’alimenter son garde-manger, de le diversifier aussi en étoffant la palette de saveurs à sa disposition. Elle espère qu’elles surprendront ses hôtes, lors de sa deuxième année aux manettes de «son» restaurant.

Son univers

Une chanson
«Smile», de Nat King Cole. Le titre parle delui-même.

Un légume
Le petit pois. À manger cru, directement dans le jardin!

Un livre
«Le guide de lafermentation du Noma», de René Redzepi«Enrichissant, il m’accompagne dans mon métier.

Un lieu
Le grenier de ma grand-mère. Comme elle est brocanteuse, j’y fais de belles découvertes.

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

Découvrez les produits

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

Abonnez-vous

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Inscrivez-vous
Icône Connexion