Reportage
Pour nourrir les cultures, ils misent sur un engrais “vers”

À Saint-Aubin (FR), deux associés ont fondé une ferme de vers de farine. Outre des produits destinés à l’alimentation humaine et animale, ils commercialisent depuis peu un engrais composé des déjections des bêtes.

Pour nourrir les cultures, ils misent sur un engrais “vers”

Sur le campus d’AgriCo à Saint-Aubin (FR), la place occupée par la start-up Lowimpact Food est pour le moins discrète. De l’extérieur, on ne croirait pas que dans le bâtiment fourmillent quelque six tonnes d’insectes dans des bacs bleus… Et pourtant! Tout a commencé en 2019, lorsque Simon Meister et Camille Wolf étaient tous deux en fin de thèse à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Un jour, la jeune femme, qui fabrique de la bière durant son temps libre, explique à son camarade qu’elle ne sait que faire des résidus de brassage. Celui-ci lui répond alors, du tac au tac, qu’il a vu un reportage intéressant consacré à l’élevage d’insectes, qui se nourrissent justement de ce type de déchets. «Le lendemain, on s’est retrouvé avec la même idée», confie le jeune homme en souriant.

Premiers résultats probants
Si la réflexion n’a pris qu’une nuit, la concrétisation a mis davantage de temps. La start-up naît officiellement en 2021, avec pour cible le marché de l’alimentation humaine et animale. Mais aujourd’hui, la visite porte sur un autre produit, commercialisé depuis cette année: un engrais organique. «Il s’agit en fait de déjections des vers, que l’on appelle frass, relève Camille Wolf. Nous avons remarqué que celui-ci, qui se présente sous forme de petites billes, s’accumulait au fond des bacs. Nous nous sommes alors demandé comment nous pourrions revaloriser cette matière.»

En effectuant quelques recherches, les scientifiques se sont rapidement penchés sur la piste de l’engrais, constatant qu’il s’agit d’une ressource riche en nutriments essentiels pour les plantes tels que l’azote, le phosphore et le potassium. «J’ai commencé par faire des essais chez moi. J’en ai mis sur l’herbe, notamment autour des arbres, où ça pousse moins. J’ai très vite constaté une différence.»

Afin d’asseoir ces résultats, la start-up a bénéficié d’un chèque à l’innovation du Canton de Fribourg, qui lui a permis d’effectuer une série de tests au centre de compétence de Grangeneuve. «L’idée était de prouver l’efficacité en matière de croissance, ainsi que de vérifier les teneurs des différents nutriments. Sur la salade et le basilic, notre fertilisant est arrivé en deuxième position, juste après les engrais chimiques, mais avant le fumier séché, révèle-t-elle avec satisfaction. De plus, notre produit a l’avantage d’être sec et inodore. Nous sommes très contents de pouvoir en certifier la qualité.» Une validation officielle, qui a poussé les associés à se concentrer, pour cette année, sur cette nouvelle offre. «C’est très intéressant, car il s’agit d’un coproduit de notre élevage qui ne nécessite aucune transformation. Nous avons simplement à filtrer la matière et à l’empaqueter.»

Objectif agricole à long terme
Pour l’instant, l’engrais de Lowimpact Food, adapté tant aux plantes d’intérieur qu’aux cultures en extérieur, s’adresse surtout aux amateurs de jardinage. «Il serait tout à fait utilisable en agriculture. Mais nous n’en produisons pas encore en assez grande quantité pour démarcher ce secteur, note Simon Meister. L’industrie de l’insecte est dure pour cela, que cela soit pour l’agroalimentaire ou le reste, on se heurte toujours à la problématique du volume, qui doit être très grand dès le départ. Ce qui implique de gros investissements financiers au début, et des revenus qui doivent rapidement tomber pour pouvoir assurer la cadence… c’est compliqué.»

Leurs locaux peuvent accueillir jusqu’à 15’000 tonnes d’insectes, mais à peine la moitié de cette capacité est exploitée aujourd’hui, le coût des intrants étant trop élevé pour agrandir l’élevage. «Notre production actuelle correspondra, au vu des premières récoltes, à une tonne et demie de frass à la fin de l’année», précise Camille Wolf. «C’est assez usant, mais on reste motivés», lance Simon Meister.

Ce qui les motive à poursuivre, ce sont notamment les possibilités de développement qu’ils voient déjà à leur modèle de ferme, et les applications concrètes envisageables avec leur fertilisant, notamment dans le milieu de l’agriculture biologique. «Dans les zones géographiques où il y a peu de bétail, les paysans disposent d’une quantité réduite d’engrais de ferme, ce qui est problématique, leur cahier des charges imposant l’utilisation de produits locaux. Y installer des fermes d’insectes leur permettrait de se fournir en engrais bio dans leur région», détaille le jeune homme.

En attendant, Camille Wolf et Simon Meister espèrent se faire peu à peu connaître. Pour l’instant, l’engrais se trouve à l’achat sur leur site internet, sous forme de sacs de 500 grammes et 3 kilos, ainsi que dans deux commerces de la région. «Nous sommes en discussion avec d’autres enseignes de jardinage, révèle Camille Wolf. Nous planifions aussi de participer à diverses portes ouvertes… En cette première année de commercialisation, nous semons les graines pour mieux germer, on l’espère, dès l’année prochaine!»

+ d’infos www.lowimpactfood.ch

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Aliments pleins de protéines

Si manger des insectes peut sembler peu ragoûtant, les bienfaits des vers de farine sont pourtant non négligeables. Riches en nutriments comme le fer, le zinc, le calcium et le magnésium, ainsi qu’en vitamines, ils contiennent également des acides gras insaturés, bons pour le système nerveux. Et ils sont surtout très protéinés, souvent davantage que la viande, le poisson ou les œufs! Séchés, les vers commercialisés par Lowimpact Food atteignent un taux de 50% (soit 50 gr de protéines dans 100 gr d’insectes). Et pour les plus sensibles à l’aspect visuel, la start-up vend aussi ce produit sous forme de poudre, que l’on peut facilement intégrer à de nombreuses recettes. Un ingrédient idéal pour les régimes des sportifs!

Un potentiel écoresponsable fort

Mettre «l’innovation au service d’une alimentation durable», voilà l’objectif de la start-up Lowimpact Food. C’est pour cette raison qu’elle s’est tournée vers l’élevage d’insectes, qui
se révèle être une solution comportant de multiples avantages. En effet, il est par exemple plutôt facile de s’en occuper. Ensuite, les vers de farine se nourrissent de biomasse locale, soit des déchets alimentaires comme de la drêche de brasserie, du son de blé ou encore la pulpe de fruits pressés, que Camille Wolf et Simon Meister récupèrent chez des artisans du coin. Pour «boucler la boucle», leurs propres résidus de production sont maintenant exploités sous la forme d’engrais, déjà disponible dans la région. Une façon de procéder basée sur l’économie circulaire, qui garantit une empreinte environnementale faible.