Publique ou privée, l’école au grand air séduit

Troquer la salle de cours contre un coin de forêt, de parc ou de jardin, pour une demi-journée ou pour toute la semaine: plus qu’une tendance, c’est une profonde évolution des pratiques touchant les classes romandes.
9 septembre 2021 Clément Grandjean
Clément Grandjean

Pas de cloche pour signaler le début de la leçon: seul le chant des oiseaux accompagne les 23 élèves qui cheminent sur la petite route gravillonnée. Ils ont entre 4 et 7 ans et sont scolarisés dans un établissement pas comme les autres: EducaTerre, une structure fraîchement ouverte à Bex (VD), est une école en plein air. Du Valais à Genève en passant par Neuchâtel, on compte une petite dizaine de ces institutions privées en Suisse romande. Leur philosophie? Offrir un enseignement hors des quatre murs d’une salle de classe.

Une autre manière d’apprendre

«Avant de commencer, on va faire un tour du jardin pour voir ce qui a fleuri, propose Ludmilla Delgado, l’une des deux enseignantes de la structure bellerine. Puis vous jouerez les petits détectives: à vous de récolter les feuilles qui manquent pour terminer la confection de notre grand herbier.» Séparés en deux groupes en fonction de leur degré, les enfants s’égaillent alors sans se faire prier dans la pépinière qui accueille l’école.

À côté de la roulotte qui sert à la fois de bibliothèque, d’atelier ou de chevalet pour les activités artistiques – l’une des serres de la pépinière, elle, joue les refuges de fortune lorsque le temps est trop pluvieux –, les plus âgés se réunissent sous un arbre auquel Chloé Schaller pend une guirlande d’images consacrées aux émotions. «On peut tout enseigner dehors, assure celle qui a déjà participé à la création d’une école en plein air à Uvrier (VS) sitôt sa formation pédagogique terminée, avant de s’impliquer dans le projet vaudois.

Notre programme est dicté par le plan d’études romand, que nous suivons fidèlement. Seulement, on atteint les objectifs qu’il fixe par d’autres biais que ceux de l’école traditionnelle: quand on est dehors, les connaissances sont tout autour de nous. Les feuilles qui changent de couleur sont un prétexte à parler des saisons, on apprend à écrire en établissant une liste des insectes du jardin… On accepte aussi de se laisser bousculer par les imprévus, de changer les plans du jour au dernier moment.»

Intérêt croissant

Meilleure capacité d’attention, acquisition de compétences intellectuelles, mais aussi sociales ou pratiques, les arguments de l’enseignement en plein air sont attestés par des études scientifiques (voir l’encadré ci-dessous). Dans ce contexte, si les établissements privés en extérieur restent une exception, notamment parce qu’ils impliquent un budget important, le système scolaire public est lui aussi en pleine remise en question. Sur une base volontaire, des centaines d’enseignants romands ouvrent les portes de leurs classes, souvent une demi-journée par semaine, pour passer du temps à l’extérieur. «La demande pour des formations consacrées à ce type d’enseignement a explosé depuis trois ans, souligne Ismaël Zosso, responsable du Centre de compétences «Outdoor education» créé en 2020 par la Haute École pédagogique de Lausanne. D’une vingtaine de candidats aux modules de formation continue il y a dix ans, on est passés à plus de 300 par an pour le seul canton de Vaud.»

Soutien précieux grâce à la Fondation Silviva

Les enseignants qui souhaitent sortir de leur classe ne sont pas seuls: depuis plus de trente-cinq ans, la Fondation Silviva dispense des formations et publie des manuels prisés des professionnels. «En donnant de la place à la nature à l’école, on permet à une génération d’enfants de se familiariser avec le monde qui les entoure et la préservation de nos ressources, relève Muriel Morand Pilot, biologiste et formatrice au sein de la fondation. On constate une évolution du regard des parents, qui soutiennent largement les enseignants dans cette démarche. C’est enthousiasmant!»

Enseigner au fil des saisons

Afin d’accélérer la transition et de répondre aux attentes du corps enseignant, les formateurs interviennent directement dans les établissements pour aider à l’élaboration d’activités sur mesure. Il faut dire qu’on ne s’improvise pas maître ou maîtresse d’école en forêt: «Il ne suffit pas de transposer sa classe en extérieur, précise Ismaël Zosso. Sans murs, tableau noir, ni pupitres, toute la gestion des élèves est à réinventer.» Mais le jeu en vaut la chandelle, et à tous les âges: bien que les classes primaires soient les plus nombreuses à sortir des écoles, le secondaire s’y met également, de même que le postobligatoire.

Un bref coup de sifflet résonne dans le jardin: fin de la récréation à EducaTerre. Les plus jeunes foncent entre les buissons vers le canapé forestier où ils s’installent pour écouter une histoire, tandis que les grands s’approchent du tableau blanc posé à même le sol sur lequel Chloé Schaller inscrit la date du jour. «J’arrive mieux à apprendre ici que dans mon ancienne école, confie un garçon en sortant son cahier. Ce que je préfère faire? Les bricolages!»

Six paires d’yeux suivent attentivement le feutre qui trace une liste de voyelles, puis de consonnes. «Se-ptem-bre, lit lentement l’enseignante. Vous avez vu? On a changé de mois: on sera bientôt en automne.» Tandis que dans le jardin ensoleillé, les enfants saisissent leurs crayons et retranscrivent soigneusement leurs observations météorologiques du jour, le bruit du graphite sur le papier se confond avec celui du vent qui agite les feuilles.

3 questions à Christina Wolf, collaboratrice de l’Institut pour la didactique des sciences naturelles de la Haute École pédagogique de Saint-Gall.

Qu’apporte à un enfant l’école en plein air?

Plus de 200 études de psychologie montrent que cette approche présente d’énormes bénéfices au niveau de la santé, de la sociabilité et bien sûr de l’apprentissage. Elle favorise la mémorisation à long terme parce qu’elle repose sur la mise en pratique des savoirs et sur le mouvement.

Ces bienfaits sont-ils les mêmes selon que l’enseignement se passe à 100% dehors ou seulement une demi-journée par semaine?

Des sorties régulières, par exemple une fois par semaine, entraînent déjà une hausse de
la capacité d’attention chez l’enfant. La régularité compte plus que la durée, et que le lieu d’ailleurs: sortir en milieu urbain est aussi bénéfique que de le faire en forêt.

Le système scolaire suisse est-il prêt à proposer plus de cours en extérieur?

Le plan d’études n’est pas opposé à cette approche, mais il faut oser y répondre de manière transversale en sortant du cadre strict de la classe. L’école suisse doit se réinventer en intégrant conjointement l’enseignement à l’intérieur et en plein air. La volonté des enseignants sera déterminante: la balle est dans leur camp!

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