Point fort
Quand de mystérieux courants électriques parasitent les bêtes

Indésirable, le phénomène dit des «courants vagabonds» s’avère difficile à repérer et nuit à la santé du bétail, parfois sévèrement. Une plateforme d’information à destination des agriculteurs vient d’être mise en place.

Quand de mystérieux courants électriques parasitent les bêtes

«Depuis que je travaille ici, j’entends parler des courants vagabonds, raconte Pascal Python, chef du groupe de Production animale chez Agridea. Sans pour autant connaître l’ampleur du problème.» Et il n’est pas le seul. Les personnes interrogées à ce propos l’auront vite soulevé: derrière ce drôle de nom se cache un vaste et complexe sujet.

Tout commence avec des courants électriques indésirables. Ceux-ci s’échappent, de façon incontrôlée, des installations prévues à leur bonne conduite. Ils sont, comme l’adjectif qui les accompagne l’indique, errants, et transitent au gré des milieux et matériaux conducteurs qui se présentent à eux. Jusqu’à parfois arriver au sein d’exploitations agricoles, et créer des complications. «La première fois que j’ai rencontré des soucis liés à des courants vagabonds, mes vaches se montraient nerveuses, notamment lors de la traite. Elles semblaient dérangées et se couchaient mal, jusqu’à présenter des problèmes de trayons écrasés et une baisse de production de lait», témoigne Christian Wolf, agriculteur du côté de Forel (VD).

Difficile à diagnostiquer
Les animaux, qui s’avèrent bien plus sensibles à ces tensions électriques que les êtres humains, peuvent manifester divers symptômes comportementaux ou physiques en leur présence. Dans les cas les plus aigus, le système immunitaire est gravement affaibli, et les conséquences peuvent être mortelles. Mais établir une relation de causalité entre ces signaux et des courants électriques ne relève pas de l’évidence. «Face à des mammites fréquentes ou un stress apparent, le paysan concerné va d’abord explorer des pistes vétérinaires ou se questionner sur son affouragement. Les courants vagabonds relèvent de l’exception. Voilà pourquoi le problème met du temps à être détecté», explique Pascal Python.

C’est l’une des raisons qui ont poussé Agridea, sous l’impulsion de l’Union suisse des paysans, à développer une plateforme d’information, en partie financée par l’Office fédéral de l’agriculture et celui de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Cet outil propose une méthode d’autocontrôle et un portail de mise en contact avec des professionnels en cas de suspicion de courants vagabonds.

Diverses origines à envisager
Du côté des spécialistes en électricité, la thématique est connue. Mais pas forcément plus simple à appréhender. «Les causes possibles sont très variées. Il peut s’agir d’un problème interne à l’exploitation (ndlr: des installations électriques défectueuses). Mais il y a aussi l’environnement externe à observer, comme la présence d’antennes de téléphonie ou d’une ligne de chemin de fer non loin», note Aimé Maître, patron d’Electro Vita Sàrl. Le Jurassien s’est spécialisé dans cette thématique. «Une fois la source identifiée, il est possible d’agir en ramenant certaines valeurs dans les circuits de mise à terre des bâtiments. L’assainissement est toujours réalisé en maintenant la sécurité maximale des installations électriques.»

Chez Christian Wolf, il semblerait que des courants tournaient en boucle à travers les parties métalliques de son étable. «Un mètre de conduite a été remplacé par un tuyau en plastique afin de couper ce transit, précise l’agriculteur. Depuis, je constate de l’amélioration. Mais je crains que ce genre de problème ne réapparaisse.»

Selon Aimé Maître, la plupart des cas ont une origine identifiable. Mais il peut arriver que la source des courants vagabonds ne se trouve pas directement dans l’environnement interne ou externe de l’exploitation. Michael Amey, éleveur à Fribourg, a par exemple connu une période de traite difficile il y a plusieurs années. «Les professionnels qui sont intervenus chez moi ont identifié un lieu à l’aide de baguettes de sourcier et posé un aimant. J’admets ne pas être certain de ce qui s’est passé, car j’avais également changé d’affouragement en parallèle. Ce que je sais, c’est que cela allait mieux. J’ai donc décidé de garder l’aimant, et ai encore recouru à cette méthode l’hiver dernier pour un problème similaire.»

Garder l’esprit ouvert
En outre, il faut savoir que certains champs énergétiques provenant de la terre elle-même, comme les réseaux Hartmann et Curry, respectivement d’origines électrique et magnétique, les cours d’eau ou failles dans les sous-sols peuvent véhiculer des courants vagabonds. «J’y suis également attentif, car même si je pense que la plupart des cas sont explicables, on n’arrive parfois pas à tout résoudre avec nos yeux de scientifique», reconnaît l’électricien Aimé Maître, qui s’est peu à peu mis à manier les baguettes de sourcier en cas de besoin. «Certains se servent de pierres naturelles ou d’essences de bois spécifiques afin de dévier ces courants. De mon côté, je travaille avec des oscillateurs magnétiques de compensation dans ces cas-là.»

Compléter ainsi son profil semble répandu. Alain Siggen, jeune retraité du contrôle des installations électriques de Groupe E SA, l’a aussi fait: «À force de constater le désarroi de paysans dans certaines situations et face à la pollution électromagnétique, j’ai décidé de me former auprès de l’Association ERGE en Alsace et à l’École suisse de géobiologie et sourcellerie sur le tard», raconte-t-il. Maintenant géobiologiste et sourcier diplômé, il couple ses connaissances et exerce à la demande, tant pour des exploitations agricoles que des habitations.

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Illustration Marcel G.

Des affaires qui bougent en France

La thématique fait parler d’elle dans la presse française depuis quelques années déjà, et certains cas semblent avancer peu à peu. En effet, en Loire-Atlantique, un couple d’éleveurs dénonce depuis près de dix ans les perturbations survenues dans leur exploitation, à la suite de la construction d’un parc éolien. S’ils ont fini par vendre leur domaine, ils continuent la bataille, et la cour d’appel de Rennes a autorisé cette année l’expertise des câbles souterrains du site. Dans l’Orne cette fois, le gestionnaire de réseau Enedis a été condamné en novembre dernier à remettre 140’000 euros à un agriculteur, rapporte Le Parisien. Si l’entreprise a fait appel, «ce jugement pourrait faire date, puisque pas moins d’une centaine d’éleveurs sont aujourd’hui concernés en France», complète le journal. De son côté, le ministère de l’Agriculture a fait circuler cet été un questionnaire auprès des paysans afin d’étudier les liens entre l’élevage et les installations électriques sur le territoire national.

Sujet sensible

Aimé Maître, qui a visité près de 500 fermes en Suisse, regrette une situation complexe pour les paysans concernés. «Personne ne veut s’engager et prendre de responsabilités. Les instances se sauvent, relève l’électricien de formation, qui a notamment rencontré un éleveur ayant perdu une centaine de bêtes. C’est dramatique.» Cela fait quinze ans qu’il a transmis ses premiers rapports aux autorités fédérales, espérant que le dossier soit pris au sérieux. Idem pour Louis Pittet, agriculteur à Riaz (FR), qui, avec une aide professionnelle, a trouvé l’origine des problèmes de santé et de qualité du lait de son bétail dans le réseau régional. Après des années de combat, l’affaire n’a jamais abouti, faute de preuves suffisantes. L’entreprise en question précise d’ailleurs n’avoir actuellement connaissance d’aucun cas avéré sur son réseau. «Tout le monde se renvoie la patate chaude», déplore Louis Pittet.