Portrait
Simon Gabioud interroge notre rapport aux animaux mal aimés

Journaliste, vidéaste et photographe animalier, le Vaudois de 34 ans réalise la web-série Bêtes noires dans laquelle il décrypte nos peurs et nos idées reçues sur quatre espèces impopulaires qui nous entourent.

Simon Gabioud interroge notre rapport aux animaux mal aimés
Il apparaît derrière la porte, souriant et chaleureux, offre un café et propose de s’installer à la table du séjour pour discuter. La pièce est lumineuse et la baie vitrée donne sur un grand jardin arborisé et fleuri, où des espaces ont été laissés à la nature. «Vous n’avez pas vu celui de mes parents», rétorque humblement Simon Gabioud face à nos éloges. En télétravail ce jour-là, le journaliste de 34ans nous reçoit chez lui à L’Isle (VD) pour évoquer Bêtes noires, la nouvelle web-série qu’il vient de réaliser pour la RTS avec son collègue Michael Lapaire. Une production en quatre épisodes consacrée au loup, à l’araignée, au serpent et au silure. Des espèces choisies parce qu’elles laissent rarement indifférent et véhiculent un certain nombre de préjugés, voire de croyances parfois complètement fausses. «J’avais envie de proposer un regard critique, sans parti pris, dans un format différent des documentaires animaliers souvent contemplatifs qu’on peut voir à la télé», explique d’emblée Simon Gabioud.Entouré de scientifiques et de gens du terrain, le Vaudois est parti à la rencontre de ces bêtes mal aimées et méconnues pour tenter de comprendre les craintes qu’elles suscitent chez les humains. Pendant le tournage, il a côtoyé des araignées et des arachnophobes, plongé dans le Rhône parmi les silures, bivouaqué dans le Jura afin d’observer les loups. Des souvenirs forts qui lui ont demandé, parfois, de surmonter ses propres peurs. Celle des serpents, en l’occurrence, sa bête noire à lui depuis cette rencontre inattendue survenue l’été de ses 3 ans. «Je jouais dans le jardin et je me suis retrouvé nez à nez avec une couleuvre à collier. J’étais haut comme trois pommes, elle m’a paru immense. J’ai débarqué en panique au cabinet de mon père, qui était en pleine consultation avec un patient», se souvient-il aujourd’hui en souriant.

Lauréat du Swiss Press Award
Second d’une fratrie de trois garçons, un père médecin né en Valais, une mère infirmière d’origine belge, Simon Gabioud se prend de passion, ado, pour les oiseaux. «Je passais mes mercredis après-midi et mes week-ends à les observer et les photographier, j’installais des nichoirs, j’achetais plein de vieux livres dans les brocantes. L’ornithologie a été ma porte d’entrée sur le monde sauvage», assure le trentenaire. En 2015, âgé de 25 ans, il part en Alaska observer les ours. «J’ai dormi sous tente avec des spécialistes, les plantigrades étaient à quelques mètres de nous, c’était magique.» Après l’école, il songe d’abord à la biologie, puis change d’avis et opte pour un CFC de photographe animalier à Vevey.À l’issue de son apprentissage, il poursuit avec un bachelor en relations internationales à l’Université de Genève, avec en ligne de mire le droit de l’environnement, mais lâche l’affaire avant le master. «Je ne me voyais pas académicien, j’avais envie de renouer avec le terrain.» Une connaissance le met en lien avec le rédacteur en chef de La Région, le journal du Nord vaudois. Simon Gabioud tente sa chance et décroche un stage de journalisme, d’abord à la rubrique sportive, puis à la locale. Deux ans plus tard, il intègre la rédaction web du Temps, dont il devient le responsable adjoint du pôle vidéo, avant de rejoindre début 2022 l’unité des documentaires de la RTS. Cette année-là, il remporte le prestigieux Swiss Press Award dans la catégorie «locale» pour son court-métrage Bois des frères, sur le quotidien précaire des saisonniers logés dans des baraquements près de l’aéroport de Genève. Son documentaire Qui a peur de l’homme noir? retrace le séjour à Loèche (VS) durant l’hiver 1951 de l’écrivain afro-américain James Baldwin, première personne de couleur à s’installer dans le village, réalisation avec laquelle il remporte en 2022 le Prix spécial du Jury au Festival international du film alpin des Diablerets (FIFAD).

L’araignée comme animal totem
Proche du monde rural – ses grands-parents des deux côtés étaient agriculteurs –, il consacre son travail de diplôme de journaliste à la crise du lait et rend hommage avec Paysan du ciel au travail de son oncle Jean-Marc Gabioud, berger de montagne depuis près de septante ans en Valais. «J’aime les allers et retours temporels, mesurer l’évolution des mentalités, prendre le pouls de la société», dit-il.

La porte s’ouvre. C’est Frédérique, l’épouse de Simon Gabioud, qui rentre avec leur fils Elias, 2mois. Le couple s’est rencontré à une fête d’étudiants à l’Université de Genève. «Fred vient de Montréal. Elle devait rentrer au Québec l’année suivante, mais elle n’est plus jamais repartie.» Il y a trois ans, peu après la naissance de leur fille Astrid, la famille a quitté Morges (VD) pour L’Isle. Un retour aux sources, le journaliste étant très attaché à la région. «J’y ai vécu une enfance magnifique et j’avais envie d’offrir la même à notre famille. Petit, j’avais des poules, des chèvres, des lapins, j’allais pêcher des alevins avec mes pièges à poissons, j’ai appris les noms des plantes et des fleurs. C’est génial de pouvoir transmettre tout cela. À cet âge, les enfants sont super perméables et curieux, c’est le moment de faire passer des messages. C’est aussi l’ambition que j’avais en réalisant Bêtes noires.» Mission accomplie. Cette année à la garderie, Astrid a choisi l’araignée comme animal totem.

+ d’infos Bêtes noires, réalisation de Simon Gabioud et Michael Lapaire, diffusion dès le 7 juin sur
www.rts.ch/betesnoires et sur la chaîne YouTube de la RTS.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Un lieu
Les sources de la Venoge (VD). «Un endroit envoûtant, sauvage, à côté de la maison où j’ai grandi.»

Un livre
«La panthère des neiges», de Sylvain Tesson. «Le récit d’un écrivain et d’un photographe animalier dont j’admire le travail.»

Un film
«Dikkenek», d’Olivier Van Hoofstadt. «Un éloge drôle et décalé à la Belgique, pays dont je possède la nationalité.»

Un animal
Le cincle plongeur. «Un oiseau de nos rivières fascinant, le seul capable de voler, nager et marcher… sous l’eau.»