Eclairage
Tendance, le kaki pourrait être cultivé en Suisse 

Alors que ce fruit se popularise au jardin et que les importations augmentent, des agriculteurs envisagent de se lancer dans sa production. Des essais de culture bio destinés à la vente directe sont menés par la branche arboricole.

Tendance, le kaki pourrait être cultivé en Suisse 

S’épanouissant dans les jardins valaisans et sur les bords du Léman, les plaqueminiers ne passent pas inaperçus en cette saison. Depuis quelques jours, ces arbres à kakis, dont les fruits dodus et parfumés ont rougi, donnent leur première récolte. À Fully (VS), Nicolas Roduit, directeur de Roduit-Plants, vend des plantons de ce fruitier depuis dix ans, qu’il fait venir de France et d’Italie. «Nous les acclimatons pour qu’ils poussent sous nos latitudes. Le Tessin est la région où il y en a le plus, mais nous avons aussi des clients dans le canton de Fribourg et dans des villages de moyenne altitude. Ce fruit se plaît beaucoup ici. C’est à la mode!»

Depuis trois ans, les ventes de ces plants à des particuliers ont fortement augmenté en Suisse (voir l’encadré ci-dessous), tout comme les importations de kakis, qui ont bondi de 44% entre 2012 et 2017, pour atteindre 5600 tonnes en 2019, majoritairement en provenance d’Espagne. En revanche, il n’existe aucune production reconnue sur le territoire helvétique, l’Office fédéral de l’agriculture ne considérant pas les surfaces de plaqueminiers comme une culture fruitière. Pour Maxime Perret, conseiller technique à l’Union fruitière lémanique, il y a toutefois un grand potentiel à exploiter. «Cette culture pourrait permettre à des petites structures de proposer une plus grande diversité de fruits et d’échelonner leurs récoltes durant l’année. Nous étudions actuellement la faisabilité d’une telle production dans la région. Il y a une forte demande.»

De nombreux atouts
En Suisse, le milieu agricole n’est pas indifférent à ce récent succès. Au domaine de Marcelin, à Morges (VD), une trentaine de plaqueminiers ont été plantés l’année passée, dans le cadre d’un projet expérimental en partenariat avec la Ferme des sapins, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) et la Direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires du canton de Vaud. «Ces arbres sont sensibles à peu de maladies et de ravageurs dans nos régions. Ils se prêtent bien à l’agriculture biologique. De plus, ils craignent peu le froid et la sécheresse et offrent des récoltes abondantes», explique Flore Lebleu, responsable du projet au FiBL. D’ici trois ans, les premiers kakis de ce verger novateur pourraient être proposés en vente directe.

Parmi plusieurs centaines de variétés, fuyu et jiro – appelés aussi kakis-pommes – ont été sélectionnés pour leur texture croquante et leur goût naturellement non astringent, contrairement aux variétés importées. «La plupart des kakis que l’on trouve actuellement en supermarché sont riches en tanin. Ils sont immangeables s’ils ne sont pas blets. On doit donc attendre que leur chair soit molle et sucrée, voire un peu visqueuse, avant de les vendre, ce qui déplaît à de nombreux consommateurs. De plus, ce n’est pas l’idéal pour la grande distribution, parce qu’ils sont très fragiles», souligne Maxime Perret. Si, ces dernières années, des producteurs étrangers ont trouvé un moyen de les rendre consommables tout en conservant leur fermeté grâce à un traitement au gaz carbonique, les infrastructures nécessaires à ce procédé sont lourdes et coûteuses. «Les kakis-pommes, eux, ne nécessitent aucune intervention post-récolte. Ils peuvent être dégustés tout de suite, alors qu’ils sont orange clair. Ces variétés encore méconnues dans notre pays sont une solution idéale pour les petits paysans.»

Pour plus de diversité
Ailleurs en Suisse, plusieurs agriculteurs s’y intéressent et souhaiteraient se lancer, notamment en Valais, région au climat particulièrement clément et adapté à cette culture exotique. À l’image du pépiniériste Hubert de Kalbermatten, fondateur des Jardins Permanents, structure spécialisée dans la permaculture. Il y a près d’un mois, il a planté une dizaine de plaqueminiers produisant des kakis-pommes, aux alentours de Sion. «J’espère en vendre sur mon domaine et dans les paniers de fruits et légumes que je propose à mes clients d’ici deux ans», déclare-t-il.

Mais le kaki suisse a-t-il vraiment des chances de percer? Pour Hubert Zufferey, responsable de la production à la Fruit-Union Suisse, il s’agit surtout d’une opportunité de diversification pour les agriculteurs. «Cela pourrait être un marché de niche pour les consommateurs qui désirent acheter local. Toutefois, les kakis locaux seront soumis à la pression des prix étrangers, car il n’y a pas de protection aux douanes pour ce fruit, comme pour la myrtille, conformément aux accords passés en 1995 avec l’Organisation mondiale du commerce, informe-t-il. Pour le moment, la vente directe reste donc le canal de distribution le plus adapté.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Sedrik Nemeth

Fruit asiatique hypervitaminé

Le plaqueminier du Japon est cultivé depuis un millénaire en Chine et environ un siècle au Japon, où quelque 800 variétés sont recensées. Il s’agit de l’arbre fruitier le plus répandu dans ces régions du monde. Ces dernières années, il a aussi conquis les États-Unis, notamment la Floride et la Californie, ainsi qu’Israël, l’Italie et l’Espagne. Aussi riches en vitamines que les mandarines, les kakis ont une teneur en sucre supérieure aux pêches, prunes et abricots. Dans certains pays asiatiques, leurs feuilles sont aussi utilisées pour soigner l’hypertension.

Un arbre apprécié dans les jardins

Beaucoup de jardineries ainsi que quelques pépiniéristes vendent des plantons de plaqueminiers en Suisse. La plupart d’entre eux constatent une hausse de la demande pour cet arbre fruitier, notamment en Valais. Ainsi Nicolas Roduit, directeur de Roduit-Plants à Fully (VS), assure que ses ventes ont doublé en trois ans. Même constat chez Constantin, à Martigny (VS), qui en propose à ses clients depuis quinze ans. Pourquoi un tel engouement? «C’est très décoratif, surtout quand les feuilles tombent et que les fruits deviennent rouge vif. On dirait un arbre de Noël! De plus, les récoltes sont abondantes et le kaki très parfumé», témoigne Nicolas Roduit, qui achète des scions à l’étranger et les acclimate à nos régions. «Il n’y a besoin d’aucun traitement particulier. Comme ils sont en pot, nous les rentrons pour l’hiver afin que les racines ne gèlent pas. Ensuite, les clients n’ont plus qu’à les installer, au printemps ou en automne, et bien les arroser.» À Fully, le retraité Jean-Luc Carron en a planté un il y a dix ans et ne le regrette pas. «C’est magnifique! Je le taille régulièrement, car il grandit de 1m50 par an. L’automne venu, il me donne plusieurs dizaines de kilos de fruits.» Si les kakis-pommes peuvent se manger dès la récolte, les variétés astringentes doivent blettir sur l’arbre ou dans des conditions de stockage appropriées. «Pour ma part, je les entrepose à la cave à côté de pommes, car cela accélère leur maturation», explique le Fulliéran.