Du sorgho sucrier comme alternative à la betterave helvétique

Bruno et Cathy Graf mènent des essais 
pour explorer le potentiel de cette graminée originaire du Sahel, qui renferme une sève riche en sucre. Un des nombreux projets 
à découvrir lors de l'événement SHIFT Vaud, qui aura lieu le 31 mars à Lausanne.
28 mars 2025 Aurélie Jaquet
© François Wavre / Lundi 13
© François Wavre / Lundi 13

Le nectar a la couleur de la mélasse et le goût du miel. Ce n’est pourtant ni l’un ni l’autre que contiennent les petites bouteilles en verre déballées du carton par Bruno Graf. Celles-ci renferment ses premiers tests de sirop concocté à base de sorgho sucrier. Une graminée qui pousse en abondance au Sahel et qui trouve aussi ses aises depuis quelques années en Suisse.

À Valbroye, dans la Broye vaudoise, Bruno et Cathy Graf se sont lancés dans la culture de sorgho sucrier en 2021. Avec pour objectif la mise en place d’une filière complémentaire, voire alternative au sucre de betterave.

En complément à la betterave

«Lorsque j’ai repris le domaine après mon père en 2014 et que j’ai entamé ma reconversion en bio, j’avais dans l’idée de produire de la betterave», raconte Bruno Graf.

Mais face aux problèmes culturaux, il choisit finalement de renoncer. «C’est alors que je me suis renseigné sur les propriétés du sorgho. Sa bonne résistance à nos étés toujours plus secs m’est apparue comme une opportunité intéressante afin de compléter la betterave bio, dont les volumes produits demeurent largement insuffisants en Suisse pour l’instant», poursuit l’agriculteur et ingénieur agronome de 43 ans.

L’année dernière, son idée a séduit le jury du salon SHIFT Vaud, un événement qui réunit différents acteurs autour du thème de l’alimentation durable et dont la prochaine édition aura lieu lundi 31 mars (lire en fin d’article). Ce prix lui permet aujourd’hui de poursuivre la progression de son projet avec le soutien du FiBL, qui l’accompagne dans ses essais.

Ferme véganique

Issu d’une famille d’agriculteurs, Bruno Graf a repris la tête de la Ferme du Château de Combremont/Valbroye en 2014. Son épouse Cathy, qu’il a rencontrée lors d’un séjour au Cameroun, est titulaire d’un master en qualité sécurité et environnement et l’a rejoint sur le domaine il y a quatre ans. Longtemps, le père de Bruno a été producteur laitier, avant de se tourner vers le bétail d’engraissement. Peu intéressé par l’élevage, avant tout pour des raisons éthiques, l’agriculteur, qui est végétarien depuis l’âge de 18 ans, a fait le choix de se consacrer à la production végétale exclusivement. «Nous pratiquons une agriculture véganique, c’est-à-dire que nous n’utilisons aucun produit d’origine animale sur notre ferme, pas même du fumier.»

La canne à sucre du Nord

Au départ, le sorgho est avant tout cultivé pour ses grains, qui se consomment cuits, moulus en farine ou encore utilisés en remplacement du houblon dans la fabrication de la bière. «C’est une plante de la famille du millet. En Afrique, on l’appelle d’ailleurs le grand mil. Au Cameroun, d’où je viens, on le fait bouillir et on le mange en accompagnement, comme un féculent», explique Cathy Graf, 34 ans, l’épouse de Bruno.

Mais il s’avère que le sorgho possède également des tiges renfermant une sève riche en sucre. «Les Amish ont été les premiers à exploiter les qualités nutritives sucrantes de cette plante. Après l’avoir amenée aux États-Unis vers 1800, ils l’ont sélectionnée et se sont spécialisés dans sa culture. Ils l’ont d’ailleurs rebaptisée «la canne à sucre du Nord», raconte Bruno Graf.

Sirop sucré

Pour extraire la précieuse sève, l’agriculteur vaudois a investi dans une presse. Une fois le liquide récolté, celui-ci est chauffé durant plusieurs heures, afin d’en évaporer l’eau et de réduire la masse jusqu’à l’obtention d’un sirop épais.

«Ce processus fonctionne bien et nous nous attelons maintenant à identifier une variété à plusieurs fins capable de cristalliser, soit de passer de l’état liquide à l’état solide. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre saccharose, glucose et fructose. La betterave cristallise, car elle est principalement sous forme de saccharose. Mais les profils en sucre du sorgho changent considérablement selon les variétés», poursuit l’ingénieur agronome.

Résistant à la sécheresse et aux maladies

Le sorgho est semé entre fin mai et début juin, lorsque les sols se réchauffent et que les conditions sont poussantes. Un peu d’humidité est alors nécessaire pour permettre aux semis de lever, mais cette culture exotique s’avère ensuite très adaptée aux conditions arides.

«C’est une plante de type C4. Cela signifie qu’elle est à la fois extrêmement résistante à la sécheresse et super efficiente à la lumière», témoigne Bruno Graf. La graminée se montre peu sensible aux maladies et aux insectes.

«Elle n’est par exemple pas touchée par la pyrale ou la chrysomèle, deux ravageurs problématiques dans les champs de maïs, et ne nécessite pas d’attention particulière durant sa phase de croissance. En bio, le seul problème réside dans les mauvaises herbes. Un sarclage est nécessaire en début de culture pour lutter contre les adventices, jusqu’à ce que la plante tapisse bien le sol», note le Vaudois.

Quinze variétés testées

En l’absence de machine adaptée, la récolte s’effectue pour l’heure encore à la main, à l’aide d’un simple sécateur. «Elle a lieu l’automne. Certaines variétés sont déjà prêtes fin août, début septembre. L’année dernière, le taux de sucre est toutefois monté tardivement et nous n’avons pu récolter qu’à la fin octobre.» Entre 2023 et 2024, Bruno et Cathy Graf ont déjà testé une quinzaine de variétés de sorgho différentes sur les 10 ares (1000 m2) réservés à leurs essais.

Spécialisé dans les grandes cultures et le maraîchage, le couple produit 1 hectare de légumes et spécialités en plein champ et sous tunnel ainsi qu’une vingtaine d’hectares d’avoine, d’épeautre, de tournesol, de pois chiches ou encore de soja. Une partie de la production est destinée à la transformation pour la grande distribution, le reste est vendu à BioFarm ou via le site internet de la ferme. Un assortiment auquel le couple espère ajouter bientôt son sucre de sorgho.

L'avis de

Tiziana Vonlanthen,
collaboratrice scientifique
à l’Agroscope

«Le sorgho est cultivé depuis près d’une trentaine d’années en Suisse, mais son intérêt a augmenté depuis une décennie environ. Les surfaces demeurent toutefois anecdotiques: en 2023, seuls 400 hectares étaient consacrés à la culture de cette graminée. Le canton de Vaud est le plus grand producteur du pays. Les quantités se concentrent pour l’essentiel sur le sorgho fourrager (92%). Celui destiné à la consommation humaine est pour l’heure très minoritaire (8%). Les variétés de sorgho grain sont plus petites que les fourragères, qui peuvent atteindre 4 m de hauteur. Bien que cette alternative au maïs fasse ses preuves, notamment grâce à une meilleure tolérance à la sécheresse, il reste un travail à réaliser sur le plan de la sélection afin de rendre cette graminée plus digeste, énergétique et appétente pour le bétail.»

+ d’infos SHIFT Vaud, lundi 31 mars de 9h à 18h dans la Halle 18 de Beaulieu, à Lausanne.

Terre&Nature offre 10 entrées à l’événement. Écrivez-nous à redaction@terrenature.ch pour tenter d’en remporter une.

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