Le ghee se purifie lentement, mais sûrement en terres fribourgeoises
En voyant les mottes de beurre prêtes à passer à la casserole, on peine à percevoir le côté sain de la spécialité que l’on s’apprête à découvrir. Et pourtant, elle a sa place dans de nombreux magasins diététiques. Depuis trois ans, Sandra Papon confectionne du ghee au Chalet Saint-Paul à La Roche.
C’est dans ce repaire coloré et inspirant la quiétude qu’elle transforme le produit de la fromagerie de Gumefens en une version clarifiée, utilisée en médecine traditionnelle indienne et en cuisine – notamment pour rôtir des aliments, car elle a l’avantage de ne pas noircir ni brûler à haute température. L’artisane a baptisé sa création Frighee, en référence au canton de Fribourg cher à son cœur et au sentiment de liberté qu’elle ressent en confectionnant cette denrée.
Petits bouillons constants
«En Inde, le ghee fait partie de la vie quotidienne. Toutes les familles savent le fabriquer à base de beurre de lait de vache,un animal qui est sacré pour eux, raconte Sandra Papon. Je l’utilise beaucoup en naturopathie. Or personne n’en proposait en Suisse romande.» Ayant appris ce savoir-faire ancestral au Kerala, elle décide de créer elle-même cet aliment «à base des meilleurs produits laitiers du pays, ceux de Gruyère», dit-elle en souriant.
«Le procédé est simple, mais il demande de la patience et de l’attention», poursuit-elle, en découpant de grosses portions, qu’elle dépose dans une casserole. Celles-ci seront chauffées à feu vif. «Elles doivent fondre et cuire à petits bouillons, note-t-elle. Avec l’habitude, je sais au bruit et à l’odeur si le processus est bien entamé.»
L’artisane
Après une formation d’assistante médicale, Sandra Papon a travaillé dans l’hôtellerie, domaine dans lequel exerçaient ses parents. Puis elle a senti le besoin de se retrouver et s’est envolée pour le Kerala afin d’effectuer une retraite. Elle a alors découvert les bienfaits de l’ayurveda, une révélation. De retour en Suisse, elle décide de changer de profession, quitte la frénésie de la Riviera et devient naturopathe. À la recherche de la nature authentique, elle s’installe à Broc (FR), en Gruyère, où elle ouvre son cabinet. Elle organise également plusieurs fois par année des retraites et des cours de cueillette sauvage en saison. Depuis 2020, elle consacre la moitié de son temps à la confection de ghee.
Un goût de caramel
Les potentiels germes sont alors détruits par la cuisson, qui dure plus d’une heure. Rapidement, les morceaux se liquéfient entièrement et une écume apparaît à la surface. Cette mousse blanche, dense, est composée d’eau et de caséine, la principale protéine du lait, qui forme de petits grumeaux. «Cela montre que le beurre se purifie. Grâce à l’évaporation de l’eau, cette couche va disparaître», explique Sandra Papon en brassant consciencieusement cette huile chaude. Le liquide bouillonne, se modifiant peu à peu, sous l’œil attentif de l’artisane. Une seconde mousse, plus aérienne, se forme alors. L’arôme évolue, le ghee commençant à sentir un peu le caramel.
La couleur jaune doux du beurre frais a depuis longtemps disparu, le liquide ayant pris une robe intense. «On surnomme d’ailleurs le ghee l’or de l’Inde», relève-t-elle. Des dépôts commencent à attacher sur les bords de la casserole. «Il s’agit du lactose, détaille Sandra Papon. Il n’en reste que des traces dans le produit fini, ce qui a été prouvé en laboratoire. Le ghee convient donc bien aux personnes qui sont intolérantes à cet élément.» Celui-ci se précipite au fond de la casserole, formant comme un atoll de récif corallien.
Plusieurs filtrations
L’eau s’étant totalement évaporée, la préparation est alors prête à être tamisée, de façon à éliminer toutes les impuretés. Sandra Papon utilise un filtre à café aux mailles très fines, et effectue l’opération à trois reprises. Le ghee est ensuite versé encore chaud dans des pots de 300 grammes stérilisés à sec, pour éviter toute présence d’eau. Le beurre clarifié est lumineux, brillant. Il deviendra crémeux et opaque en refroidissant – il repose au minimum pendant huit heures avant d’être commercialisé. «Il se conserve loin des rayons du soleil, mais pas au frigo, précise la productrice. Il garde son petit goût de noisette pendant trois mois et peut se consommer pendant un an sans rancir. Si son goût change, ce produit étant vivant, sa qualité reste la même.»
Sandra Papon confectionne ses pots chaque semaine. Elle fournit ainsi une vingtaine d’épiceries, de magasins diététiques et de particuliers, pour l’heure essentiellement dans son canton. «J’ai pu ajouter les valeurs nutritionnelles sur mes étiquettes, ce qui me manquait jusqu’ici, conclut l’artisane, qui se réjouit de la forte demande que sa création suscite. J’ai déjà des commandes en Valais et à Neuchâtel notamment.»
Une spécialité qui dépasse les frontières
En Inde, le ghee est apparu il y a trois millénaires, devenant un produit incontournable. On s’en sert pour effectuer des massages ou on l’offre aux divinités. Certains l’enfouissent même pendant cent ans avant de le donner à de jeunes mariés, afin de doper leur fertilité. Considéré comme un aliment noble et pur, il est présent dans la plupart des cérémonies religieuses. On lui prête de nombreuses vertus médicinales, mais sa consommation ne doit pas dépasser une cuillère à soupe par jour, souligne Sandra Papon. Ce beurre clarifié est riche en vitamines A, E, D et K. Il existe également dans d’autres pays, notamment sous l’appellation «smen» au Maroc ou «samna» en Égypte.
+ d’infos www.soayurveda.com @Frighee.ch
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