Le Nectar givré puise sa douce chaleur dans le froid glacial
La brume qui enveloppe le Seeland en ce vendredi matin appelle une boisson qui réchauffe davantage qu’un cidre pétillant. C’est justement dans l’objectif de concocter un produit plus complexe en arômes que Manuel Oudart et Maxime Queloz ont rendez-vous au pressoir de la cidrerie Hurni+Sohn, à Ferenbalm (BE).
Les deux fondateurs de Trois-Lacs Ciders ont amené avec eux 4,5 tonnes de pommes qui n’attendent que d’être pressées. Le jus extrait sera ensuite congelé à cœur, dégelé progressivement, puis fermenté. «L’action du gel concentre les sucres et l’acidité», explique Manuel Oudart. Cette technique, qui permet d’obtenir une boisson douce et complexe plus proche d’un vin que d’un cidre classique, est surtout connue au Québec, où les «cidres de glace» ont été inventés et sont désormais protégés par une IGP.
Trouver la bonne variété
L’habitant de La Neuveville (BE) n’a jamais visité la Belle Province et c’est un peu par hasard que le Nectar givré est né. Œnologue de formation et alors maître distillateur, il fait la connaissance de Maxime Queloz, lors d’une partie de pêche. «On a commencé à réfléchir à ce qu’on pourrait proposer de neuf, raconte ce dernier. On était en pleine effervescence des microbrasseries, du vin, il y en avait plein…»
Son acolyte ajoute: «En tant que maître distillateur, j’ai élaboré des gins à façon qui étaient estampillés «produit local», alors que les baies de genièvre venaient de Toscane. Mais pour cette boisson maison, nous avons décidé de ne travailler qu’avec des ingrédients locaux.»
Le duo se tourne vers la pomme, qui abonde dans la région des Trois-Lacs. Les deux compères dégustent tous les cidres helvétiques qu’ils peuvent dénicher. «Mais plutôt que de faire comme les autres en proposant un cidre effervescent, nous avons voulu nous démarquer, indique Manuel Oudart. À la distillerie, j’avais un bidon de 40 litres de jus frais. Je l’ai mis au congélateur pour m’en occuper en janvier et tester une extraction. C’est comme ça qu’a été créée la première cuvée de Nectar givré.»
Le producteur
En matière de boissons alcoolisées, Manuel Oudart en connaît un rayon. Après des études d’œnologie à Changins (VD), le Neuvevillois a fait ses armes comme maître distillateur, puis comme représentant en vins et spiritueux dans la gastronomie. Avec Maxime Queloz, il a eu envie de proposer un produit neuf, en recourant à des ingrédients locaux. Le choix se porte sur la pomme. Le duo commence à travailler sur son Nectar givré, avec la volonté de se démarquer des cidres de soif. Trois-Lacs Ciders naît en 2019. Depuis, l’entreprise tourne avec des acteurs issus de la région: les pommes proviennent de Gerolfingen (BE), le pressurage s’effectue vers Chiètres (FR), les étiquettes ont été créées et sont imprimées à Neuchâtel, tandis que les cartons viennent d’Yverdon-les-Bains (VD).
La braeburn en avant
Il a toutefois fallu du temps pour concevoir la bonne recette et notamment choisir les bonnes variétés de pommes. Sur la vingtaine que Daniel Weber cultive à Gerolfingen (BE), les deux artisans ont jeté leur dévolu sur la braeburn.
«J’adore son côté acidulé, très fruité et croquant, explique Manuel Oudart. On ajoute de la pinova et de la rubinette pour amener de la douceur.» Lié à chaque récolte à la manière d’un millésime, le cidre évolue d’année en année. «On adapte la recette en fonction. Avec l’été très pluvieux qu’on vient de vivre, on a par exemple dû ajouter un peu plus de pommes douces.»
Indispensables mois de garde
Dans les halles de Hurni+Sohn, les deux compères surveillent les opérations. «C’est la première année qu’on fait presser ici. Jusqu’ici, on travaillait avec un tout petit artisan, près de Gerlafingen.» Le jus extrait est conditionné dans des cuves. «On réalise ensuite un débourbage, on fait sédimenter le dépôt pour clarifier le moût.» Le liquide est congelé pendant six à huit semaines, puis ramené à température ambiante et fermenté, grâce à l’ajout de levures de vin.
Au gré de ces différentes étapes, le cidre va gagner en complexité, mais aussi perdre en volume: «Avec 4500 kg de pommes, on peut extraire environ 3800 litres, détaille Manuel Oudart. Mais au moment de commencer la fermentation, il ne nous restera que 1000 litres.»
Une réalité qui explique le prix de vente du produit: 28 francs la bouteille de 50 cl. Le processus de fermentation est ensuite stoppé net, par mutage, en l’occurrence par l’adjonction d’eau-de-vie de pomme. «Cette opération nous permet de stabiliser le cidre de manière naturelle, sans recourir à des sulfites.» Elle confère aussi une touche plus chaleureuse à la boisson, dont le taux d’alcool atteint 13% et demande quelques mois de garde avant d’être dégustée.
Le fruit chouchou des Suisses en baisse
Selon les estimations de l’Union fruitière suisse, 155 000 tonnes de pommes ont été récoltées dans les vergers helvétiques l’an dernier. La tendance est toutefois à la baisse. En 2023, 92 000 tonnes de fruits pour consommation directe ont été cueillies, contre 167 000 en 2018. On boit aussi moins de jus de pomme. «Les consommateurs se voient offrir de plus en plus d’alternatives, avance la faîtière des producteurs de fruits. On observe aussi une tendance à la diminution du nombre d’exploitations et à une augmentation de leur taille, avec davantage de spécialisation.» Et le cidre, dans tout ça? Sa consommation reste assez anecdotique: les Suisses en éclusent 95 000 hectolitres, soit un peu plus d’un litre par an par habitant. À titre de comparaison, on boit 48 fois plus de bière et 33 fois plus de vin.
+ d’infos trois-lacs-ciders.webflow.io
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