«Les vraies victimes de ces fraudes aux vins sont les viticulteurs»

Le Ministère public valaisan accuse un encaveur de fraude massive à l'AOC Valais. Yvan Aymon, président de l'Interprofession de la vigne et du vin du Valais, nous répond en marge du procès qui s'est ouvert lundi.
28 août 2024 Propos recueillis par Céline Duruz
© Sedrik Nemeth

À la mi-août, le Ministère public valaisan a révélé avoir mis au jour un système frauduleux, qui aurait permis la vente de centaines de milliers de litres de vins étrangers, suisses ou hors quota, sous l’appellation protégée AOC Valais. 
Comment avez-vous réagi à cette annonce?
Pour nous, c’est une bonne nouvelle! On savait, depuis les révélations de l’affaire 
Giroud par le journal Le Temps et la RTS en 2014, qu’il existait un système de fraude basé sur des fausses factures. Certaines étaient rédigées au nom de la cave des Cailles de Cédric Flaction, fait qui est jugé cette semaine. On s’est beaucoup engagé pour que cette affaire soit instruite et qu’un tribunal puisse se prononcer sur celle-ci. C’est enfin le cas.

Pourquoi ces fraudes concernent-elles spécialement les crus AOC Valais?
En réalité, il s’agit de contrefaçon, c’est-
à-dire de la vente de produits frauduleux qui abusent d’une marque de valeur, 
dans ce cas l’AOC Valais. Si les accusations du Ministère public se vérifient, la marge que les tricheurs auraient réalisée en coupant leurs crus était substantielle, de l’ordre de plusieurs francs par bouteille. Ces magouilles leur auraient permis de générer plusieurs millions de francs de bénéfice.

Comment expliquer que cette tromperie ait pu durer aussi longtemps, de 2009 à 2016 selon l’acte d’accusation?
Il y a eu une inaction de la justice. Dans son rapport en 2015, le procureur extraordinaire Dick Marty relevait les manquements du procureur dans l’affaire Giroud, estimant qu’une «précipitation à se dessaisir de l’affaire, d’une part, et le peu d’entrain à s’en occuper, de l’autre, expliquent la gestion insatisfaisante et peu rationnelle de cette procédure». C’est regrettable, car une partie des faits reprochés, ayant eu lieu avant 2010, est aujourd’hui prescrite.

Bio express

Après avoir été porte-parole de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV), Yvan Aymon en est devenu le président en 2015. Auparavant, il a fondé et dirigé pendant vingt ans le label «Valais excellence» distinguant les entreprises valaisannes qui améliorent leur performance sur le plan de la qualité, de l’environnement et du social. Il est également à l’origine de la marque «Valais» et a enseigné à la HES-SO de son canton.

Pourquoi la présence de crus étrangers, ou ne bénéficiant pas d’une AOC, n’a pas été décelée dans le vin malgré les contrôles?
À l’époque, les analyses isotopiques des vins (ndlr: permettant de déterminer si un produit alimentaire vient de Suisse ou de l’étranger) n’existaient presque pas. Pour les réaliser, il fallait bénéficier de valeurs étalons, soit énormément de données sur lesquelles on base aujourd’hui les contrôles. Pour écouler des vins étrangers sous l’étiquette d’un vin d’appellation d’origine contrôlée, il suffirait de couper les crus AOC de vin bon marché, à hauteur de 10 ou 20%. Cela rend leur identification ardue, même pour des experts. Il y avait en plus un bug entre les deux entités chargées d’effectuer les contrôles, l’Organisme intercantonal de certification pour les viticulteurs et le Contrôle suisse du commerce des vins pour les grandes structures.

C’est-à-dire?
Elles ne partageaient pas leurs données. On ne pouvait donc pas déceler les fausses factures ou le nombre de litres de vin mis en vente. Cela a été réglé en 2019.

Selon l’acte d’accusation, l’État du Valais, les acheteurs et les consommateurs ont été lésés par les agissements présumés de l’encaveur sédunois. Est-ce qu’il y a aussi eu un manque à gagner pour la branche viticole valaisanne?
Oui, bien sûr. En 2015, on l’a chiffré sur la base du prix du raisin à 12 millions de francs. De plus, il y avait alors eu des déstockages, c’est-à-dire qu’une partie des coûts de déclassement a été payée par la Confédération et les caves. On ignore si dans le lot, il y avait du vin frauduleux. Ça fait mal au cœur.

Le consommateur doit 
se rapprocher du producteur, 
se renseigner sur la provenance du vin pour s’assurer 
de sa traçabilité.

Après de telles affaires, le dégât d’image pour les vins AOC Valais est considérable, non?
Effectivement, la branche est la première victime d’agissements frauduleux, nous allons donc tout faire pour que toute la lumière soit faite. Il s’agit de recel, ce qui est pour l’heure traité sur le plan pénal. L’Interprofession de la vigne et du vin s’est portée partie civile et ne lâchera pas l’affaire.

Vous attendez-vous à d’autres cas similaires?
Oui, le Ministère public instruit actuellement encore plusieurs plaintes provenant du Contrôle suisse du commerce des vins et de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais. Ce système opaque et astucieux n’a pas livré tous ses secrets.

Quels conseils donneriez-vous aux consommateurs, qui peuvent avoir la crainte d’être grugés en achetant des bouteilles de vin AOC Valais?
Il faut qu’ils se rendent compte que dans le milieu viticole, il y a deux mondes: les vendeurs de vin en vrac et les encaveurs écoulant des bouteilles à leur nom. Eux ne sont pas concernés par ces fraudes. Il faut donc que le consommateur se rapproche du producteur, qu’il se renseigne sur la provenance de la marchandise, pour s’assurer de sa traçabilité. C’est pour cela que l’on organise des événements comme les Caves ouvertes ou les Tavolatas. Les vraies victimes de ces fraudes sont les viticulteurs.

Cinq ans de prison ferme requis

Ce lundi, le Ministère public valaisan a requis cinq ans de prison ferme contre Cédric Flaction pour abus de confiance, faux dans les titres et escroquerie. Il a pu établir que l’encaveur avait acquis en Suisse alémanique des vins espagnols (730 000 litres) et schaffhousois (105 000 litres) pour les mélanger à des crus valaisans. Le Ministère public a requis cette sanction, estimant que c’est la «seule peine qui pourrait le convaincre de la gravité de ses actions», rapporte l’ATS. Pour l’avocat de la partie plaignante, les agissements de l’encaveur «ont porté un coup très rude à la notoriété du label, mettant en danger toute la filière». Devant le tribunal, Cédric Flaction, encore présumé innocent, a quant à lui présenté des excuses aux personnes qu’il aurait lésées. Il a admis avoir établi de fausses écritures comptables et de fausses factures, mais réfute avoir vendu du vin étranger sous l’appellation AOC Valais. Le verdict est attendu pour le 2 septembre.

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