Loin des bistrots marseillais, Genève a désormais son propre pastis
Au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne du quartier de Bourgogne, à Genève, pas de mer, de terrain de pétanque ni de grillons à l’horizon. Pourtant, une odeur de Sud flotte dans l’air. Sur le plan de travail en inox immaculé digne d’un laboratoire de chimie, du pastis est en préparation.
À la tête des opérations, l’artisan Frédéric Verne, 32 ans, qui a quitté son métier d’horloger pour se consacrer à cette boisson anisée. «Tout a commencé lorsque mon grand frère m’a proposé de travailler dans son bar. J’ai accepté et il m’a initié à la distillation. Je venais de plus en plus tôt avant mon service pour m’entraîner et noter mes expériences dans un petit carnet», raconte le jeune homme.
Anis étoilé, menthe et armoise
Contrairement aux principaux producteurs industriels du marché français (lire l’encadré ci-dessous), Frédéric Verne n’utilise ni sucre ni huile essentielle. «Je veux proposer la boisson la plus brute possible, réalisée dans le respect des traditions», déclare-t-il en montrant ses onze ingrédients dans des fioles. Parmi les quatre plus importants, deux sont importés. «Il y a d’abord l’anis étoilé, originaire d’Asie. L’un de ses composants, l’anéthol, donne sa couleur trouble au breuvage. On retrouve aussi la réglisse, qui pousse dans le sud de la France.»
L’anis vert et les graines de fenouil sont, eux, commandés chez un grossiste alémanique. «Avec ça, on peut déjà faire un pastis, mais ses saveurs ne seront pas très complexes. Moi, j’ai décidé de réduire le goût anisé, afin de toucher un plus large public.» Pour ce faire, il ajoute de la racine d’angélique pour le côté terreux, de la menthe poivrée et de la mélisse pour la fraîcheur, de la camomille, des graines de coriandre, de la cardamome ainsi que de l’armoise commune. «Cette dernière donne la touche suisse, car elle pousse aisément sous nos latitudes et est aussi très présente dans l’absinthe», précise-t-il.
Le producteur
Chez les Verne, la distillation est une affaire de famille. Alors que le père produisait autrefois du cognac, le frère commercialise gin, vodka, negroni et expresso martini sous sa marque LVX Spirits, fondée en 2019. C’est sans surprise que le cadet s’est reconverti dans ce domaine après un CFC d’horloger et plusieurs années passées à la vallée de Joux puis dans une entreprise de luxe au bout du Léman. Aujourd’hui, en plus du pastis, celui qui est récemment devenu papa concocte une liqueur de cannelle à la verveine, écorce de citron et piment habanero, à destination des clubs et bars de nuit.
Pas jaune, mais blanc
Durant plus de trente heures, ces végétaux macèrent dans de l’alcool suisse de betterave sucrière. «Je commence à un degré assez élevé d’alcool pour extraire un maximum de puissance des plantes.» La mixture est ensuite mise à chauffer lentement dans la cuve de l’alambic, afin qu’elle s’évapore. «Dans la plupart des processus de distillation, des filtres permettent d’épurer la matière et enlever les particules lourdes. Moi, je les ai laissés ouverts, car le pastis a besoin de coffre.» Deux heures plus tard, une fois la phase de condensation terminée, un distillat compris entre 60 et 85 degrés d’alcool s’échappe du tuyau.
Au bout de quatre jours, le spécialiste le mélangera avec de l’eau distillée pour le réduire à 48 degrés, soit trois points de plus que le Pastis de Marseille. «Pourtant, il sera plus léger au goût. Attention donc à ne pas le noyer. Moi, je le propose uniquement avec deux glaçons. De plus, sa couleur restera blanche, ce qui peut surprendre», informe celui qui embouteille et étiquette sa production lui-même, soit près de mille bouteilles de 0,5 litre par année. Médaillé d’or du concours national DistiSuisse en 2023, le pastis Roue libre est en vente principalement à Genève, dans des caves, bars et buvettes estivales. «Mais on peut en boire toute l’année. Demandez aux Marseillais!»
Alternative légale à l'absinthe
Le pastis est né dans le sillage de l’interdiction de l’absinthe en France en 1915, en raison des effets supposés hallucinatoires et de la mauvaise réputation de cette boisson. Plusieurs alternatives anisées et légales ont vu le jour avec des recettes similaires, la plante d’absinthe en moins. En 1932, l’entrepreneur Paul Ricard a commercialisé une recette originale qu’il a nommée Pastis de Marseille, popularisant pour la première fois ce mot, qui signifie «mélange» en provençal. Aujourd’hui, cette marque industrielle – fusionnée avec Pernod en 1975 – demeure le leader du marché. La France compte aussi des dizaines de producteurs artisanaux. Côté suisse, les frères Gyger de Souboz (BE) se sont récemment lancés.
+ d’infos
www.rouelibrepastis.ch
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