Une pisciculture suisse produit un caviar prisé des plus grandes tables
Russie, Chine, Iran ou États-Unis. Lorsqu’on pense au caviar, on imagine généralement des élevages industriels et lointains. Pourtant, la Suisse produit elle aussi cet or noir prisé des tables de fêtes.
À Frutigen, petite localité située au cœur de l’Oberland bernois, l’entreprise Oona Caviar en écoule entre 2 et 3 tonnes chaque année. Une activité née au départ dans le but de valoriser les eaux chaudes jaillissant du tunnel de base du Lötschberg, dont le débit avoisine les 100 litres par seconde.
Production tardive
«Cette eau à 24°C environ ne pouvait être injectée dans les rivières, car la région est un lieu de reproduction pour les truites, qui nécessitent un milieu froid. Les responsables du projet de construction du tunnel de base du Lötschberg ont donc dû réfléchir à une alternative.
L’élevage d’esturgeons s’est imposé comme une solution idéale, car ces poissons originaires du nord de l’Europe et de Russie apprécient aussi bien les eaux glaciales que tempérées», explique Nicolas Buchmann, directeur d’Oona Caviar.
Construite en 2009, la pisciculture bernoise dispose de 84 bassins dans lesquels elle élève 80 000 esturgeons sibériens et du Danube (Acipenser baerii et Acipenser gueldenstaedtii), qui peuvent mesurer jusqu’à 2 m et peser près de 65 kg. L’extraction du caviar a lieu tout au long de l’année. «En moyenne, les femelles se mettent à produire des œufs à partir de l’âge de 8 ans. Des échographies individuelles nous permettent d’évaluer le stade et la quantité de leurs réserves afin de les abattre au moment où la maturité est optimale», poursuit le directeur.
Le producteur
L’entreprise bernoise emploie une quarantaine de collaborateurs de la région. «Notre équipe est composée de pisciculteurs, de bouchers et d’agriculteurs, dont beaucoup travaillent à temps partiel», explique Nicolas Buchmann. Depuis 2016, Oona Caviar élève également des perches. La pisciculture est établie sur le même site que la Maison tropicale de Frutigen, un grand jardin bâti sous des serres chauffées grâce à l’énergie géothermique issue du tunnel du Lötschberg et sous lesquelles étaient cultivées près de 200 plantes exotiques telles que bananiers, manguiers, cacaoyers ou caféiers. Inaugurée en 2009, la Maison tropicale a cessé son activité en mai 2024. Les activités du site se concentrent désormais exclusivement sur la filière piscicole.
100 000 boîtes par année
Après avoir tué l’animal, les pisciculteurs procèdent aussitôt à l’extraction du caviar en incisant le ventre dans sa longueur. Les gonades, soit les poches contenant les œufs, sont alors retirées et le caviar est prélevé à la main. Les perles sont ensuite passées au tamis, nettoyées et rincées plusieurs fois à l’eau claire pour ôter les impuretés, puis minutieusement triées, afin d’assurer une homogénéité de taille et de couleur, qui oscille généralement entre le vert foncé et le noir.
Enfin, la préparation est légèrement salée et conditionnée dans des boîtes de différentes tailles.L’entreprise bernoise en produit plus de 100 000 par année. Les plus petites, de 30 g, sont vendues 89 francs, tandis que celles de 500 g coûtent 1300 francs. Un produit de luxe qui a su trouver son marché en Suisse.
«La demande est d’ailleurs supérieure à l’offre. Notre clientèle est constituée d’hôtels et de restaurants étoilés, de marques horlogères et de haute joaillerie, d’épiceries fines et de consommateurs privés, qui peuvent passer commande sur notre boutique en ligne. Nous fournissons également quelques compagnies aériennes pour leurs passagers de première classe», raconte Nicolas Buchmann.
Certification Suisse Garantie
Cet or noir étant produit exclusivement par des femelles – les perles de caviar sont en réalité des gamètes non fécondés –, la pisciculture bernoise n’élève pas de mâles dans ses bassins et n’assure pas elle-même la reproduction de ses esturgeons. «Nous achetons nos femelles dans différents élevages durables d’Europe.»
Ces poissons, dont le poids oscille entre 50 g et 2 kg selon les fournisseurs, arrivent à Frutigen par camions et sont élevés de longues années avant d’être productifs. Leur alimentation est constituée de granulés élaborés à base d’huile d’algues et d’un mélange de céréales composé d’avoine, de blé, de maïs, de levure, de haricots et de vitamines. Depuis le début, Oona Caviar élève ses esturgeons sans antibiotiques ni médicaments. La production de Frutigen est par ailleurs certifiée Suisse Garantie et Pro Montagna.
Valorisation des sous-produits
Une fois le caviar prélevé, les esturgeons sont filetés. La chair est fumée à chaud à 65°C sur du bois de hêtre dans le fumoir de la pisciculture et vendue dans différents restaurants ainsi qu’à la clientèle privée. Les peaux sont quant à elles congelées, puis envoyées chez un tanneur artisanal bernois. Après avoir été nettoyées, elles sont placées dans des fûts de chêne, puis tannées pendant trois semaines avec du tannin végétal à base de mimosa. Le cuir ainsi obtenu est utilisé pour la fabrication de bracelets de montres, de ceintures, de sacs à main et autres petits articles de maroquinerie. Même les matières fécales de l’élevage sont valorisées en servant à la production de biogaz.
+ d’infos www.oona-caviar.ch
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