Un potager hospitalier pour aider les patients à se reconstruire
D’une main appliquée, Ibrahima Keita retire les feuilles abîmées du plant de courgettes devant lui puis cueille deux cucurbitacées mûres à point qu’il glisse dans un sac plastique. Des gestes a priori anodins mais qu’il lui était encore impossible de réaliser il y a quelques semaines. Victime d’un accident vasculaire cérébral en février dernier, ce cuisinier genevois de 45 ans a dû réapprendre les mouvements les plus élémentaires du quotidien. Une rééducation qu’il réalise en grande partie au jardin thérapeutique de l’Hôpital Beau-Séjour, à Genève.
Un lieu créé de A à Z par les patients
Créé en juillet 2020, cet espace potager installé dans le parc de l’institution accueille chaque semaine une dizaine de patients cérébro-lésés. Son but: offrir un outil de rééducation et d’adaptation extérieur aux personnes en thérapies préprofessionnelles. «Tout ici a été créé de A à Z par les patients, de la construction des jardinières au choix des semis et à l’entretien des plantes», explique Amandine Durand, ergothérapeute et initiatrice du projet avec ses collègues Léa Gosselin et Noemi Troyon. Les profils des personnes qui oeuvrent dans ce potager hospitalier sont divers: certains ont été victimes d’AVC, d’autres de traumatismes crâniens, d’anévrismes ou de cancers. Après un séjour plus ou moins prolongé à l’hôpital, ils ont réussi à réintégrer leur domicile et ont retrouvé une grande partie de leurs aptitudes. Le retour au monde professionnel demeure la dernière étape de leur reconstruction.
Au jardin, les rôles de chaque patient sont définis en collaboration avec les ergothérapeutes. «L’idée est de leur confier des tâches adaptées à leur métier. La construction des cinq jardinières, par exemple, a été réalisée par des personnes actives avant leur accident dans le secteur du bâtiment», explique Léa Gosselin. Elles ont été créées à partir de palettes de récupération en bois qu’il a d’abord fallu démonter au pied-de-biche, puis assembler, clouer, vernir et enfin remplir de terreau et de compost. «Ce travail nécessite force, effort et coordination. Autant de gestes qui leur permettent de renouer avec ceux de leur quotidien professionnel», poursuit la thérapeute. Le calcul du budget et les comparatifs de prix des semences ont été quant à eux confiés à des patients issus de professions administratives. «Chacun peut participer, même s’il n’a pas la main verte. Car le but final n’est pas le jardin mais le patient», insiste Amandine Durand.
Espace de revalorisation
Et les résultats semblent faire leurs preuves. «Un monsieur qui était agent d’entretien dans une école et à qui l’on avait dit qu’il ne pourrait probablement jamais retravailler vient de reprendre son emploi. Il a développé des ressources et des compétences énormes grâce aux activités réalisées ici.» Mais au-delà de la réhabilitation physique, c’est aussi une reconstruction psychologique que souhaite cultiver le jardin thérapeutique de Beau-Séjour.
«Cet espace permet aux patients de retrouver une activité et un sentiment d’utilité. Ici, ils reprennent peu à peu confiance en eux. Et pouvoir récolter le fruit de leur travail, au propre comme au figuré, est très valorisant», explique Amandine Durand. Produits en bio, sans pesticides ni engrais, les oignons, tomates, aubergines, courges et aromatiques sont en effet tous destinés aux patients. «Hier, j’ai pu cuisiner une soupe de poisson avec les piments pili-pili du jardin et ce soir ce sera courgettes grillées! J’aime travailler ici et échanger avec d’autres patients. Et puis, être en extérieur, au milieu des plantes, c’est bien plus agréable que de faire des exercices entre quatre murs», sourit Ibrahima Keita.
Les bienfaits de la nature
La littérature scientifique relate les nombreux bienfaits de ces thérapies au vert. Une étude publiée en 2019 par une équipe de l’Unité de neurorééducation aigüe du Département des neurosciences cliniques du CHUV, à Lausanne, indiquait notamment que les thérapies en extérieur avaient initié chez les patients davantage de mouvements et de réactions que celles réalisées à l’intérieur. Un constat qui s’explique par «les effets réparateurs bien connus et documentés de la nature sur le fonctionnement cognitif, émotionnel et physique», précise l’étude. En Suisse, quelques établissements hospitaliers proposent désormais ces thérapies au vert.
C’est le cas notamment du Centre suisse des paraplégiques, à Nottwil (LU), qui a créé il y a quelques mois un jardin doté d’un étang et d’un parcours en fauteuil roulant, où les patients peuvent aussi pratiquer la jardinothérapie. Inauguré en 2015, celui du CHUV, à Lausanne, connu pour avoir accueilli parmi ses premiers patients l’ancien pilote de formule 1 Michael Schumacher, se veut pour sa part avant tout un espace de stimulation sensorielle (voir encadré). En Suisse romande, de nombreux EMS proposent également de tels lieux. Le home de l’Ermitage, à Neuchâtel, ou encore celui du Genevrier, à Courgenay (JU), ont mis en place il y a plusieurs années déjà des jardins thérapeutiques destinés aux patients atteints de troubles cognitifs, telle la maladie d’Alzheimer. Des exemples qui viennent confirmer ce postulat énoncé dans les années 1980 déjà par le biologiste américain Edward Osborne Wilson, selon lequel les «humains ont un besoin génétique d’interagir avec la nature».
Questions à...Prof Karin Diserens, neurologue et responsable de l’Unité de neurorééducation aigüe du CHUV, à Lausanne
En quoi le jardin aide-t-il les patients neuro-lésés à progresser?
Par la stimulation sensorielle favorisée en extérieur. Nos cinq sens sont distribués dans les quatre lobes de notre cerveau. Ils doivent être interconnectés afin que nous puissions bouger et interagir. C’est ce «câblage» qui est endommagé après un coma. Le fait de stimuler les cinq sens stimule en même temps les voies qui interconnectent ces lobes. Le contact avec les éléments d’un jardin, les odeurs, les plantes, le vent, ou le soleil active ainsi de manière accrue ces sens.
Comment se déroulent les thérapies menées au jardin du CHUV?
Tout dépend de la situation et de l’état du patient. Au CHUV, nous avons la particularité de proposer ces sorties à des patients en éveil de coma. Pour certains, nous nous contentons de leur faire toucher ou sentir une herbe aromatique, pour d’autres nous leur demandons de passer d’une chaise à un banc ou de tenir un objet dans leur main.
Ces thérapies sont-elles amenées à se développer?
Je l’espère, car les études scientifiques prouvent qu’elles sont bénéfiques. La nature en général agit de façon positive sur le cerveau, y compris chez les gens en bonne santé.
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