Une microforêt d’inspiration japonaise voit le jour à Genève

Samedi passé, des volontaires se sont initiés à la méthode Miyawaki, en plantant densément une large variété d’espèces locales pour recréer une forêt primaire. Ailleurs en Suisse, l’arbre fait son grand retour en ville.
25 novembre 2021 Lila Erard
Nicolas Righetti/Lundi13

Devant un carrefour routier fréquenté, au cœur de Genève, une trentaine d’habitants du quartier, bottes aux pieds et gants de jardinage aux mains, grattent la terre. Ces volontaires participent à la plantation de l’une des premières forêts Miyawaki du pays, sous l’impulsion de la Ville (voir l’encadré ci-dessous). Mise au point dans les années 1970 par un botaniste japonais du même nom, cette méthode consiste à planter de manière dense une large variété d’espèces indigènes, afin d’imiter les caractéristiques des forêts primaires, quasi disparues en Europe. Ici, une trentaine d’essences de tailles variées, telles que le chêne sessile, le poirier sauvage, le groseillier à grappes et le noisetier, seront mises en terre, à raison de trois arbres par mètre carré. «De cette manière, ils rentreront rapidement en concurrence à la recherche de la lumière, ce qui stimulera leur croissance. Cette forêt poussera d’un mètre par an en moyenne. Cela deviendra une véritable jungle!» se réjouit Joëlle Martinoya, responsable de Forêt B, entreprise pionnière dans ce domaine en Suisse, créée cette année.

Un écosystème résilient

Adaptées en zone urbaine, ces microforêts ont été conçues pour pouvoir régénérer des sols pauvres ou en friche. Un travail d’amélioration de la terre a été fait en amont, grâce à l’apport de compost et d’amendements tels que de la drêche de bière d’une brasserie du canton. À terme, cet espace naturel deviendra un précieux habitat et garde-manger pour la faune. «Grâce à sa diversité, on devrait y trouver trois fois plus de mammifères et 150 fois plus de papillons que dans une plantation conventionnelle en ville.

L’interaction entre ces espèces engendrera une dynamique protectrice, qui favorisera l’autorégulation de cet écosystème face aux nuisibles et aux contraintes climatiques», explique la spécialiste. Cette niche écologique participera aussi à lutter contre les îlots de chaleur, atténuer le bruit ainsi qu’assainir l’air et l’eau, tout en impliquant les riverains.

L’aspect participatif de la démarche est essentiel dans la méthode Miyawaki, qui vise à sensibiliser la population à l’importance de la biodiversité et à favoriser les rencontres. Comme en témoigne Sloan, banquier genevois venu avec ses trois enfants. «Dans le quartier, il y a beaucoup d’ambassades et de cabinets d’avocats. Jardiner entre voisins permet de remettre de la vie», dit-il. «C’est génial de pouvoir voir la forêt pousser sous nos yeux! Nous avons besoin des arbres au quotidien pour notre équilibre», complète Françoise, enseignante à la retraite. Motivée, elle s’inscrira aux sessions d’arrosage et de désherbage organisées ces deux prochaines années.

En Asie et ici

Cet automne, deux forêts Miyawaki ont été plantées à Genève grâce au projet pilote lancé par le Service des espaces verts de la Ville. Cinq autres pourraient voir le jour sur des places de parking ou dans des cours d’immeuble, ces prochaines années. À Lausanne, un projet similaire est à l’étude. Ailleurs dans le monde, le botaniste Akira Miyawaki – décédé cette année à l’âge de 93 ans – est impliqué dans la plantation de plus de 40 millions d’arbres, principalement en Asie. Depuis 2015, plus de 200 de ces microforêts ont aussi vu le jour aux Pays-Bas, en Belgique et en France.

De Lausanne à Sion

Ailleurs en Suisse, plusieurs villes ont mis en place des stratégies d’arborisation. À Lausanne, la Municipalité a lancé «Objectif canopée», un plan d’action visant à atteindre 30% de surface urbaine recouverte par les couronnes d’arbres d’ici 2040. «Nous avons choisi la surface foliaire comme unité de mesure, car c’est ce qui permet de rafraîchir la ville. L’ensemble du sol va donc être repensé pour que les racines et les branches puissent se développer. Des essences méditerranéennes adaptées au réchauffement climatique seront aussi plantées», expose Natacha Litzistorf, municipale chargée de l’Environnement. En parallèle, une politique de valorisation et de préservation du patrimoine arboré est menée. «Aujourd’hui, tout abattage dans l’espace public doit être justifié et compensé par la plantation de trois autres spécimens. En revanche, il est beaucoup plus difficile de légiférer dans l’espace privé, où les arbres sont souvent perdants face aux permis de construire. Nous essayons d’inverser cette tendance.»

En Romandie, la ville de Sion (VS) est pionnière dans le domaine de la végétalisation urbaine, grâce à un projet pilote de la Confédération lancé en 2014, baptisé AcclimataSion. Parmi les aménagements phares, le cours Roger-Bonvin, où la tranchée couverte de l’autoroute est désormais ombragée par quelque 700 érables. Ce printemps, un jardin éphémère composé d’îlots arborisés a aussi vu le jour sur la place de la Planta. «Étant donné son succès, il restera en place au moins jusqu’à l’an prochain. Les citadins se sont véritablement réapproprié les lieux», sourit Lionel Tudisco, urbaniste au sein du service Urbanisme et mobilité. «L’engouement pour la présence d’arbres en ville est loin d’être une mode, c’est beaucoup plus profond, remarque Natacha Litzistorf. C’est une question de qualité de vie, de respect du vivant et de lien social, qu’il s’agit de transmettre aux générations futures.»

Questions à Laurent Guidetti, fondateur du bureau d’architecture et d’urbanisme Tribu architecture, à Lausanne

Actuellement, quelle place donne-t-on aux arbres en ville?

Dans les lieux publics, les nombreuses routes et les réseaux souterrains d’électricité ou d’eaux usées laissent peu de place à la nature. Ainsi, les arbres sont souvent plantés dans des espaces restreints, comme des pots enterrés, ce qui limite les contacts entre eux et le développement de leurs racines. Il en est de même dans le privé, où les projets architecturaux doivent prévoir des places de parc et un accès au stationnement, au détriment des arbres.

Dans ce contexte, les microforêts urbaines sont-elles des initiatives positives?

Bien sûr! Mais ces projets n’auront qu’un effet limité sur le réchauffement climatique s’ils restent occasionnels. Une remise en question générale de l’aménagement du territoire est nécessaire. Il faut dépasser le conflit qu’il y a actuellement entre la technique et le vivant.

Que prônez-vous dans votre récent Manifeste pour une révolution territoriale?

Nous avons besoin d’un véritable «urbanisme forestier», où la nature est au premier plan.
Le respect du vivant doit devenir la norme si nous voulons faire face au réchauffement.

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